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la belle de carillon

néreux, et il oublie les torts et les injures d’autrui…

Valmont voulut protester contre ces paroles. La jeune fille ne lui en donna pas le temps.

— Soyez calme, Capitaine, et comprenez bien que je ne vous impute ni torts ni injures à l’égard de mon père. Je veux simplement vous peindre à l’envolée le tempérament de mon père, afin que vous puissiez mieux l’excuser.

Malgré cette explication et se trompant sur les véritables intentions de la jeune fille, Valmont se révoltait. Il demanda rudement et avec défiance :

— Est-ce votre père qui vous envoie me faire des excuses, ou m’en demander ?

— Non, non, Capitaine, vous me comprenez mal. Je viens de moi-même, sans l’influence de personne, et sans que personne connaisse ma démarche. Ne vous formalisez donc pas trop tôt, pas avant de m’avoir entendue, voulez-vous ?

Elle était si candide, si douce, si charmante…

— Pardonnez-moi, Mademoiselle, reprit Valmont confus et rougissant, vous le voyez de vos propres yeux, je suis un sauvage. Mais, au fait : je m’empresse de vous dire que l’incident de ce matin ne doit pas être tenu comme une chose qui vous touche de trop près, c’est-à-dire que vous ne devez le regarder que comme un événement étranger, une dispute entre deux officiers quelconques de l’armée, sans tenir compte que l’un de ces officiers était votre père. Me comprenez-vous ?

— Oui, oui. Seulement, moi, Capitaine, je désire que l’on tienne compte de ce détail…

— J’en serai bien fâché, Mademoiselle, car, je vous l’avoue, il me répugnerait que cette affaire vous touchât le moindrement.

— Je n’en suis pas moins fâché que vous, répliqua la jeune fille avec quelque impatience, car je ne peux pas oublier, que c’est mon père qui est en cause. Et je l’aime, mon père… N’aimez-vous point le vôtre ? Je l’aime, parce qu’il est bon pour moi, mais surtout parce qu’il y a là ce secret de la Nature qui nous fait aimer nos parents. C’est donc à cause de cet amour de mes parents que je suis venue vous demander, Capitaine, de ne pas donner suite à cette affaire, en somme, très insignifiante.

— Vous me demandez cela, Mademoiselle, de votre part ?

— Je vous l’ai dit.

— Mais qu’en dira votre père ?

— Monsieur, je désire seulement votre promesse de ne pas vous rendre sur le terrain ce soir. Quant à mon père, soyez tranquille, je vous promets, de mon côté, qu’il n’y sera pas lui non plus à ce rendez-vous.

— Je vous comprends très bien, Mademoiselle, et j’admire votre dévouement et votre générosité. Mais, moi, ne passerai-je pas pour un poltron aux yeux de votre père et de ceux qui furent témoins de l’incident ?

— Mais non, mais non, Capitaine, soyez donc tranquille, je vous dis. Je vous l’affirme, j’arrangerai la chose tout à votre honneur. Voyons, Capitaine, une seule petite fois pour toutes, voulez-vous me faire plaisir en abandonnant votre projet ?

Elle le regardait d’yeux si tendres, si suppliants, des yeux qui avaient envie de pleurer, que Valmont se sentit troublé jusqu’au tréfonds de son être. Ah ! s’il voulait faire plaisir à cette belle enfant !… Mais il ne demandait que cela, lui faire plaisir !

Il répondit :

— Mademoiselle, je suis incapable de vous refuser. Néanmoins, avant de vous donner ma parole, je désire que vous me disiez que vous consulterez votre père ; et quand vous l’aurez consulté, je vous prierai de me faire part de ses pensées.

— Mais, Monsieur, va-t-il falloir que je revienne jusqu’ici ? Il sera trop tard…

— Non ! Non ! Je ne veux pas vous imposer cette course et cette fatigue. Ce soir, avant l’heure du rendez-vous, je serai à la porte du Fort où j’attendrai votre message.

— Vous tenez absolument que je consulte mon père ? fit la jeune fille avec une petite moue dépitée.

— Comprenez, Mademoiselle, que c’est votre père qui m’a donné rendez-vous pour ce soir, ce n’est pas moi.

— C’est vrai, avoua la jeune fille avec confusion, j’avais oublié ce détail.

Et elle fit quelques pas de recul, comme si elle allait reprendre le chemin du fort.

Valmont sentit un gros chagrin gonfler son cœur.

— Croyez bien, Mademoiselle, reprit-il, que je veux vous faire plaisir ; aussi serai-