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la belle de carillon

— Voyons, Bertachou, dis-moi vite cette chose que tu sais et que j’ignore !

— Celle-ci : ce sacripant de Commissaire tire comme un enragé qu’il est ! Il passe pour un duelliste de première force.

— Tant mieux, répliqua Valmont en riant. Lorsque je me bats, j’aime des ennemis de valeur. Il est vrai que je ne suis pas très fort au jeu de l’escrime, mais tout de même, Bertachou, crois-moi, je me sens capable de lui donner une leçon.

— Ne vous y fiez pas trop, Capitaine, car je le connais un peu ce Desprès…

— Un gentilhomme ?…

— C’est lui qui le dit, se mit à rire Bertachou. Non, pas plus gentilhomme que mon pied gauche, mais sorte de rastaquouère qui sait manier une lame et connaît tous les secrets du métier. Tenez, Capitaine, voulez-vous mon idée ?

— Voyons toujours !

— Je me battrai à votre place.

— Non, Bertachou, cela ne serait pas convenable. D’ailleurs, Desprès refuserait certainement, connaissant ta force à l’escrime, de t’accepter pour adversaire.

— C’est vrai. Eh bien ! je vous servirai de témoin pour un.

— Merci, Bertachou, j’accepte. L’autre témoin sera mon ami d’Altarez, capitaine aux Grenadiers.

— C’est entendu. Mais comme le temps est court, si vous le voulez, Capitaine, aujourd’hui nous ferons des armes pour vous remettre en forme.

— J’accepte, mon vieux Bertachou. Car, je te le dis, ce cuistre devra rester sur le terrain.

Tout le reste de ce jour, en effet, après que le capitaine et Bertachou furent revenus à leur poste avec les outils, les deux officiers gagnèrent un endroit écarté dans les bois du voisinage et s’exercèrent au jeu de l’épée. Sur la fin de l’après-midi, Bertachou dit avec satisfaction :

— Capitaine, si vous tenez le terrain comme ça ce soir, et surtout votre épée, Desprès est un homme mort !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Il passait quatre heures de l’après-midi quand le capitaine Valmont et son lieutenant revinrent dans leurs retranchements. Tous les hommes étaient au travail, et tous se hâtaient afin de compléter leur besogne avant la nuit. Valmont quitta Bertachou et se mit à parcourir les équipes et à examiner les ouvrages. Lorsqu’il eut terminé son inspection, il monta sur un petit plateau du voisinage pour prendre une vue d’ensemble du travail accompli. Le plateau était fortement boisé de bouleaux et de saules et traversé par un étroit sentier qui semblait conduire vers les hauteurs où s’élevait le Fort. Le capitaine, par pure curiosité, voulut s’assurer exactement de la direction que suivait ce sentier et savoir si, à l’occasion, il pourrait être utilisé. Il s’engagea sous les bouleaux et les saules et dans un ombrage bienfaisant après les ardeurs du soleil qui plongeaient avec intensité là-bas dans les abatis. Le sentier suivait tout d’abord une ligne droite vers l’Est, puis il obliquait vers le Nord-Est à peu près dans la direction du Fort Carillon. Valmont marchait d’un bon pas depuis quatre ou cinq minutes quand il crut distinguer devant lui à travers les feuillages une forme blanche. Il s’arrêta net pour mieux regarder ce qui venait d’attirer son attention. Il reconnut une femme vêtue de blanc, mais une femme dont il ne pouvait encore voir les traits. Elle ne voyait pas le capitaine, et elle marchait d’un pas assuré et rapide comme si elle eût eu hâte de quitter cette solitude. Valmont n’entendait pas cette femme marcher à cause des feuillages remués par la brise, et, surtout, à cause du bruit continu des haches qui montait de l’abatis en bas du plateau. Mais il voyait sa robe, et peu après il put voir son visage blanc et rosé sous les bords d’un chapeau de paille rose. Mais au même instant l’inconnue apercevait le capitaine et s’arrêtait brusquement, l’air confus et timide. Vingt pieds au plus séparaient les deux personnages, et alors Valmont put reconnaître sans peine l’une des deux femmes qu’il avait entrevues au Fort le matin de ce jour, c’est-à-dire la fille du commissaire Desprès. Valmont ne connaissait cette jeune fille et sa mère que de réputation, mais sur le coup il demeura ébloui devant cette beauté blonde et délicate.

La jeune fille tenait dans sa main gauche un bouquet de roses sauvages et souriait avec une certaine tristesse. Valmont retira son tricorne et s’inclina sans mot dire, puis il s’effaça hors du sentier pour laisser lire passage.

— Pardon, Monsieur, fit la jeune fille