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L’ESPION DES HABITS ROUGES

rés, sanglants, terribles, qui, fronts découverts et penchés, récitaient la prière de l’angélus. Quand se fut éteint le dernier tintement de la cloche, Coupal fit reprendre la marche. Alors, les pipes furent rallumées et de joyeux refrains montèrent dans l’espace pour se confondre aux bruits de la fusillade qui avait repris au village. La faux, le pique ou la fourche sur l’épaule, les Patriotes marchaient fièrement comme s’ils fussent revenus rapportant avec eux la gloire d’immenses conquêtes. Autre Koscieuszko, autres Faucheurs de la Mort qui en ce jour allaient conquérir de chères libertés si longtemps et si vainement réclamées ! Ils pouvaient être fiers, ces Patriotes canadiens, de leur belle action ! si elle avait manqué d’envergure, elle avait été remarquable par l’élan ! Et un vieux canadien le fit de suite et justement remarquer :

— Eh ben ! on dira plus tard ce qu’on voudra, mais faut pas oublier que les Rouges étaient au moins trois cents, et nous on n’était que soixante ! Mais faut dire aussi qu’on était soixante possédés !…

Nelson, qui avait surveillé le travail de ses Canadiens, s’était grandement réjoui. Une fois encore il déjouait l’ennemi.

Après l’angélus il avait ordonné la reprise du feu, car il importait de tenir l’ennemi en haleine.

Gore avait fait installer le canon sur une petite hauteur qui bordait la route et au milieu de broussailles. Et cette fois Farfouille Lacasse et ses compagnons ne purent atteindre de leurs balles les canonniers. En quelques minutes l’étage supérieur de la maison des Saint-Germain fut presque rasé, et Nelson et ses hommes avaient dû descendre au rez-de-chaussée.

— Ah ! avait dit le docteur, si l’on pouvait enlever ce canon-là !

C’était bien l’arme la plus redoutable pour eux. Et les Patriotes voulaient bien l’enlever ou l’enclouer de quelque façon, mais ce n’était pas facile.

Nelson méditait déjà un plan, lorsqu’un messager envoyé de la distillerie par Perrault apporta la nouvelle que les Anglais tentaient une manœuvre du côté de la rivière.

— Il faut les détourner de leurs desseins, répondit Nelson, et les culbuter dans la rivière. Je vais vous envoyer des renforts. Mais avant de retourner à la distillerie, trouvez Coupal et dites-lui de vous donner trente de ses hommes, et vous lui recommanderez de se tenir prêt avec ses autres Patriotes à nous donner un coup de main pour nous emparer du canon. Je lui ferai parvenir un mot d’ordre à temps.

Le messager quitta la maison des Saint-Germain et gagna le magasin de Pagé où il trouva Coupal en train de faire panser ses blessures. Ses hommes étaient demeurés dans les cours des maisons voisines en attendant des ordres.

En apprenant que Nelson comptait sur lui pour tenter une sortie contre les troupes du gouvernement, le jeune homme fit entendre ces paroles :

— Ah ! si nous avions seulement quelques fusils !

— Des fusils ! s’écria la mère Rémillard. Je l’ai pourtant bien dit, j’en ai vingt dans ma cave, et des balles et de la poudre aussi.

— Oh ! vous avez tout cela ? s’écria le jeune homme, ravi.

— On sait bien. Allez à l’auberge, j’ai caché les fusils dans un coin de la cave. D’ailleurs Denise vous dira où ils sont, si vous ne les trouvez pas !

Ses blessures ayant été pansées, Ambroise Coupal sortit du magasin avec le messager et enjoignit à trente de ses hommes de suivre ce dernier. Puis il cria :

— Que vingt autres d’entre vous me suivent !

À l’instant même une plus vive fusillade éclatait sur le chemin du roi et des cris féroces retentissaient. Le jeune clerc de notaire courut au chemin et vit une petite bande de Patriotes aux prises avec un détachement d’infanterie. Il jeta un ordre à son monde, en fit une colonne serrée et s’élança au secours des Patriotes. Mais déjà le détachement d’infanterie, criblé de balles venant de la maison des Saint-Germain, retraitait à la hâte. Coupal était arrivé trop tard. Tout de même, lui et ses hommes aidèrent à enlever les blessés au nombre desquels se trouvait le capitaine Perrault qui avait fait une sortie pour empêcher le détachement de pénétrer dans le village.

Profitant de l’accalmie qui venait de se produire ; Nelson vint sur les lieux avec le capitaine Blanchard à qui il confia le commandement de la distillerie. Puis, comme les troupes du gouvernement rouvraient le feu, il regagna précipitamment la maison