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L’ESPION DES HABITS ROUGES

min du roi, un projectile puissant s’ouvrit un passage dans le mur, traversa les cloisons, disparut… mais il laissa sur son passage trois cadavres et du sang, le premier sang de la journée parmi les Patriotes !

— Feu ! commanda aussitôt Nelson d’une voix de tonnerre, en courant au trou pratiqué dans le mur par le premier boulet de canon.

Vingt coups de feu crépitèrent…

Oui, les Rouges étaient là sur le chemin… Déjà on rechargeait le canon…

— Farfouille ! dit Nelson… Il ne faut pas qu’on recharge ce canon-là !

— C’est bien, mon général, répondit Farfouille, on ne le rechargera pas ! Attention !…

Et il fit feu… Le canonnier roula sur le chemin…

Mais un autre aussitôt le remplaçait…

Ready !… cria Farfouille en déchargeant le fusil que venait de lui glisser Landry qui rechargeait.

Le deuxième canonnier alla rejoindre le premier.

Mais un autre encore s’élançait au canon…

Fire ! rugit Farfouille…

Et le troisième canonnier s’affaissa sur l’affût de son canon.

— Landry, dit Farfouille en remettant à ce dernier son arme fumante, recharge ce fusil-là, c’est le meilleur, et mets-y trois balles dans la gueule !

Une pluie de balles, à ce moment, venait de crépiter contre la maison, et l’une d’elles éraflait l’épaule gauche de Farfouille qui s’apprêtait à tirer à nouveau.

— Aie ! fit-il en esquissant une grimace ! Je voudrais bien voir le crapaud d’anglais qui m’a craché ça… Tiens ! si c’était ce grand rouge que je vois là à cheval !

Le fusil du canadien gronda… et le grand rouge s’abattit à bas de son cheval !

Et pendant ce temps, les Patriotes du rez-de-chaussée, ceux de la distillerie, ceux de la meule de gerbes, ne perdaient pas une cible. Leur feu n’arrêtait pas, à chaque instant quelques fusils crépitaient, de sorte que l’ennemi n’eut pas le temps de prendre des positions avantageuses.

Un détachement de cavalerie dut retraiter, les chevaux refusant d’avancer. Souvent ils se cabraient, s’affolaient et désarçonnaient leurs cavaliers. Un moment ces chevaux masquèrent le canon, de sorte qu’il fut impossible d’en empêcher le rechargement. Puis la cavalerie se dispersa. Derrière surgit un officier monté sur un cheval blanc, et cet homme lança en avant vers le canon un détachement de fusiliers en commandant le feu d’une voix de stentor !

Devinant que le canon avait été rechargé, Nelson fit coucher son monde. Il n’était que temps… Un second boulet vint agrandir énormément la brèche déjà faite, mais cette fois nul ne fut tué ou blessé. Cependant un éclat de pierre atteignit Nelson au front faisant une coupure assez profonde d’où le sang jaillit.

— Ce n’est rien, dit-il à ceux qui lui faisaient remarquer de ne pas s’exposer. Tirez encore, mes amis !

Il banda vivement son front d’un mouchoir et se posta de nouveau en observation dans la brèche.

Farfouille à cet instant apprêtait son fusil.

— Ce canonnier-là, dit-il, ne tirera pas un troisième coup, ou bien je ne m’appelle plus Farfouille Lacasse ! Ce geux-là j’vas lui cingler le nez de ces trois balles… Attention !…

Les trois balles du Patriote fracassèrent le crâne du canonnier…

À leur tour les Fusiliers de Gore faisaient une décharge générale, mais c’étaient des munitions perdues, car les balles ne rencontraient que la pierre des murs.

De la distillerie le feu augmentait,

Les Fusiliers ne purent supporter plus longtemps ces grêles de balles meurtrières, et ils retraitèrent. Les Canadiens avaient un grand désavantage : la portée de leur fusils était trop faible, de sorte que l’ennemi n’avait qu’à reculer d’une couple d’arpents pour se reformer et se trouver à l’abri des balles. Mais jusqu’à ce moment les troupes du gouvernement n’avaient pas tenté un coup décisif, on aurait dit qu’elles n’avaient que tâté le terrain.

Mais après que les Fusiliers se furent mis hors de portée, Nelson vit un bataillon de fantassins prendre à travers champs et se diriger vers un bois situé à quelques arpents à l’arrière du village.

— Bon ! dit-il, on va essayer de nous cerner.

Peu après, un détachement de fusiliers s’engageaient dans la berge de la rivière