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L’ESPION DES HABITS ROUGES

Denise se leva et s’approcha des deux Patriotes qui, béatement, allumaient leurs pipes.

— Et vous, mes amis, dit-elle, vous n’allez pas vous battre ?

— Mademoiselle, répondit l’un d’eux, ce n’est pas le désir qui nous manque, mais le docteur nous a chargés de veiller sur le prisonnier jusqu’à nouvel ordre.

— Mais le docteur doit bien savoir que nous manquons d’hommes… Tenez ! confiez-moi le prisonnier !

— À vous, mademoiselle ! s’écria le Patriote avec surprise. Mais s’il allait faire un mauvais coup pour vous déserter ?

La jeune fille esquissa un sourire de dédain et de confiance à la fois.

— Il n’y a pas de danger, répliqua-t-elle, et je le surveillerai aussi bien que vous. Toutefois, pour plus de sûreté, liez-lui les pieds, posez un bandeau sur ses yeux ! Il le faut, mes amis, car nos Patriotes auront besoin de vous.

Et Denise, alla derrière le petit comptoir pour en rapporter des ficelles et un essuie-main. Subjugués par le ton tranquille et le geste autoritaire de la jeune fille, animés eux aussi par le souffle du patriotisme et désireux de se battre pour la cause sainte, les deux Patriotes obéirent. Ils lièrent les pieds de Latour, posèrent un bandeau sur ses yeux et, silencieux, s’en allèrent.

Mais l’un d’eux avant de refermer la porte, et comme s’il eût été agité par la naissance d’un remords, dit :

— Vous le veillerez bien, mademoiselle Denise, n’est-ce pas ?

— Je vous jure que vous le retrouverez ici !

L’accent de la jeune fille était si franc, si résolu, si sincère, que le Patriote, rassuré cette fois, ferma la porte et disparut.

Denise, joyeuse, demeura seule avec le prisonnier. Elle lui jeta un regard amoureux et amusé.

— Denise !… murmura le jeune homme aveuglé par le bandeau. Denise, êtes-vous devenue mon ennemie, que vous envoyez des Patriotes au combat, que vous vous faites ma gardienne ?

— André !… André !… murmura la jeune fille en tombant à genoux devant le prisonnier, m’aimez-vous autant que vous me l’avez si souvent répété ?

— Denise, c’est pour vous que je suis ici ! J’ai réclamé cette mission périlleuse pour avoir le bonheur de vous revoir !

— Merci, André… je doutais ! Oui, j’avais douté de vous ! Ah ! quel bien vous me faites !

— Vous m’aimez toujours vous aussi ?

Elle hésita. Ses yeux fixaient le bandeau. Elle rougit. Et malgré des voix terribles qui parlaient à son âme elle répondit :

— Toujours, André, je vous aime !

— Et lui… vous ne l’aimez donc pas ?

Elle tressaillit.

— Il ne m’aime point ! répliqua-t-elle.

— Oh ! alors, je peux me fier à vous… à toi, ma Denise ?

— André, je suis à toi !

— Merci, Denise ! Ah ! que je suis content ! Denise, écoute-moi. Nous sommes bien seuls ici ?…

— Seuls… oui.

— Personne ne peut nous voir ni nous entendre ?

— Personne, je te le jure !

— Denise, je veux… je veux que tu me délivres de ces liens !

— André !…

Il y eut un accent de protestation dans ce nom proféré. Certes, la jeune fille avait eu tout à l’heure cette inspiration de délivrer André, mais de la pensée à l’action il y avait un pas à faire, mais un pas qu’elle redoutait tout à coup.

— Denise, écoute-moi bien ! reprit le prisonnier. Nos troupes approchent. Nelson et ses Patriotes vont leur tendre un piège, elles vont donner dedans, elles vont être battues, repoussées, anéanties peut-être ! Denise, tout à l’heure nous serons des vaincus au lieu d’être les vainqueurs que nous voulons être ! Délivre-moi que j’aille prévenir le colonel Gore !

— Le prévenir ! bégaya la jeune fille comme distraite.

— Oui, sauver nos soldats de ce danger qui les menace, d’un désastre qui pourrait être irréparable ! Oh ! conçois-tu tout ce qu’on me devra, tout ce qu’on te devra à toi-même ? Si c’est notre jour d’amour, Denise, que ce soit aussi notre jour de gloire ! Or, les Patriotes tantôt clamaient que leur jour de gloire était venu ! Il ne faut pas que cela soit ! Que ce soit leur devoir d’attaquer nos troupes, c’est bien ; mais le nôtre est de les défendre ! Denise, notre défense consiste seulement à parer un piè-