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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

Et satisfait de lui-même, il se mit à remonter vers la lucarne.

Louisette avait paru suivre tout le manège précédent de son gardien avec une sorte d’intérêt. Quand elle le vit disparaître, elle se leva, mue par une curiosité qu’elle ne pouvait s’expliquer, et s’approcha doucement de la lucarne. Craintivement elle jeta un regard troublé dehors, et ce regard vit Thomas penché sur le bord du toit, regardant en bas. Une pensée subite surgit à l’esprit de la jeune fille : couper la corde !… C’était pour elle la délivrance !… Mais avec quoi pourrait-elle trancher cette corde qui retenait son bourreau au bord d’un précipice ?… Non… c’était impossible ! Elle n’avait rien, rien… Oh ! si elle avait eu ce coutelas qu’une fois Thomas avait fait briller à ses yeux terrifiés !… L’épouvante la reprit ! Elle vit Thomas revenir vers la lucarne, et elle vit à ses lèvres ce sourire effrayant du monstre qui la martyrisait.

Thomas approchait… elle se recula un peu dans l’ombre pour ne pas être vue. Elle grelottait.

Le satyre apparut, la tête d’abord, puis son corps se haussa, et bientôt il se trouva debout sur l’appui de la lucarne faisant glisser le nœud coulant de ses mains à ses pieds. Il était tout essoufflé par l’effort accompli.

Alors, Louisette eut une autre idée, — une idée si magique, si irrésistible, qu’elle fit un bond jusqu’à l’ouverture de la lucarne, et de ses deux mains tendues elle imprima à Thomas une violente poussée. Le choc fut si soudain, si inattendu que le satyre oscilla, puis tenta de saisir quelque chose pour reprendre l’équilibre ; mais ses mains n’ayant rencontré que du vide, il tomba sur la pente du toit, poussa un cri sourd, roula entraînant la corde dont le nœud coulant lui enserra solidement un pied, et il glissa pour disparaître comme engouffré dans un abîme insondable.

Puis tout demeura silence, hormis les voix d’en bas qu’on pouvait encore saisir.

Alors, épuisée par le jeûne, la fièvre et surtout par l’effort inouï qu’elle venait d’accomplir, la jeune fille roula évanouie sur le plancher.


XXII

DÉLIVRANCE


En bas, Jackson venait de dire à ses compagnons :

— Il fait assez clair maintenant, je pense, pour reprendre notre tâche. Il faut trouver Thomas.

— Moi, proposa La Vrille, je s’rais d’avis qu’on aille de suite et tout droit à sa cabane.

— Ce n’est pas mon avis à moi, fit Guillemain. Le coquin est trop rusé pour ramener Louisette chez lui. Et je ne serais pas étonné qu’il s’en fût allé à Saint-Benoît chez la mère Dupart.

— La vieille sorcière ? demanda Dupont.

— Oui. On prétend qu’il y a du cousinage entre la vieille et Thomas Vincent.

— Si nous ne parvenons à découvrir aucune piste, reprit Jackson, nous irons peut-être rendre visite à la sorcière. Allons, venez !

Les cinq hommes sortirent de la maison. Dehors, le jour se faisait peu à peu. Le vent était tombé, mais le temps demeurait gris comme si la tempête allait recommencer.

Au bas du perron, Le Frisé étudia les traces encore visibles d’Olive et de ses compagnons. À ces traces se mêlaient assez distinctement celles de Jackson et de Guillemain.

— Je ne peux pas, dit-il, voir d’autres pistes que les vôtres.

— Faisons le tour de la maison, proposa Jackson ; notre homme aurait bien pu sortir par une fenêtre et refermer le volet après lui.

Tous se mirent lentement en marche, les yeux rivés sur le sol blanc de neige. Mais aucune trace étrangère nulle part, la neige demeurait immaculée.

La Vrille, qui marchait en tête, était arrivé à l’arrière de la maison. Il s’arrêta tout à coup et fit entendre une exclamation de stupeur.

— Eh bien ! quoi ? demanda Le Frisé.

— Approchez ! souffla La Vrille dont les traits du visage étaient livides.

Jackson, le premier, accourut, puis les autres à sa suite, et tous s’arrêtèrent, muets de stupéfaction, pétrifiés presque, leurs regards rivés sur un corps humain pendant, la tête en bas, au bout d’une corde serrée à l’un des pieds ; et la corde descendait de la toiture le long du mur de pierre.

— C’est un homme ! prononça le premier, Dupont.

— Thomas ! dit Guillemain qui s’était rapproché.

Jackson, à son tour s’approcha jusqu’à toucher l’homme du doigt.

— Il est mort, annonça-t-il.

— Et bien mort aussi, dit La Vrille. Voyez, il a la tête défoncée… on voit encore du sang sur le mur.

— Et du sang là encore, sur la neige ! fit Le Frisé en remuant la neige de son pied juste au-dessous de la tête de Thomas.