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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

appuyée contre le mur. Son sourire s’amplifia.

— Bon murmura-t-il, l’échelle du grenier ! Le diable est pour moi !

Avec un ricanement funèbre il appliqua l’échelle sous le trou et quelques instants plus tard il était avec sa victime, hors d’atteinte. Car, en homme avisé, il avait tiré l’échelle après lui et fait retomber le panneau de la trappe.

C’était au moment où Le Frisé et Dupont finissaient de faire sauter les verrous de la porte et pénétraient dans la maison.

Au grenier, Thomas avait collé sa bougie sur le plancher, et il examinait à loisir son lieu de refuge. Ce grenier ressemblait au sien : aussi sale, aussi rempli de toiles d’araignées, avec les mêmes odeurs âcres de renfermé. Là encore, toutes espèces de vieilleries crasseuses. La seule chose qui parut intéresser Thomas, fut une petite lucarne pratiquée dans la toiture. Dans son esprit une lucarne représentait une issue. Il s’en approcha et en fit un examen minutieux. Puis il regarda au dehors.

Tout à coup il sentit deux mains saisir sa figure et des doigts pénétrer dans ses yeux. Il voulut pousser un cri de terreur, mais sa gorge serrée par l’épouvante ne put échapper aucun son. En même temps il sentait sur sa nuque une haleine courte et froide. Le danger lui fit retrouver sa présence d’esprit. Il poussa un juron et d’un coup de reins il se débarrassa de l’étreinte, puis ses bras s’enroulèrent avec force autour d’une taille humaine qui lui parut très flexible. Il ricana.

À ce ricanement se mêla un cri de désespoir et de frayeur.

Thomas reconnut Louisette. Il la renversa violemment par terre, saisit un chiffon sale qui traînait à portée de sa main et bâillonna solidement la jeune fille. Tout cela avait à peine duré l’espace d’une minute.

— Allons, ma poulette, dit alors le monstre en riant, on veut faire bobo à papa ? On n’est donc pas plus reconnaissante que ça ? Tu ne sais donc pas, ma fille, ce que tu serais devenue, si je t’avais laissée aux mains du vieux grichou Bourgeois et de sa jeune louve, Olive ?

Livide, tremblante de peur et de froid, Louisette fermait les yeux pour ne pas voir la face terrible du satyre.

Lui, se pencha sur sa proie.

— Regarde-moi donc un peu… Je ne suis pas bien beau, je sais bien ; tout de même j’en vaux bien un autre, il me semble.

Il saisit une des mains de la jeune fille. À ce contact Louisette ouvrit les yeux et retira brusquement sa main ; en même temps l’éclat sombre de ses regards exprimait nettement toute l’horreur qu’elle éprouvait pour cet homme.

Elle essaya d’enlever le bâillon qui l’étouffait.

Thomas l’en empêcha et se mit à rire.

— Si tu veux être raisonnable, ma jolie poule, on va te l’ôter ce bâillon. Mais il faut promettre à papa d’être bien sage, car autrement… Ensuite, tu te dis peut-être que tu pourrais jeter un appel aux gens qui sont en bas et dont on entend la voix. Seulement, ils arriveraient trop tard à ton secours.

Ce disant, il fit briller à la lueur jaune de la bougie la lame aiguë d’un coutelas.

Louisette ferma les yeux de nouveau. Elle était épouvantée. Et, pourtant, elle ne pouvait croire à tant de méchanceté de la part d’un être humain. Elle voulait s’imaginer qu’elle était l’objet d’un rêve et qu’elle allait bientôt s’éveiller dans son petit lit blanc, tout heureuse, dans la maisonnette de la forge. Mais le rêve bientôt prit la forme de la réalité, car peu à peu le souvenir lui revint d’une partie, tout au moins, de sa mésaventure. Elle put se rappeler assez nettement son enlèvement par les trois cavaliers inconnus et la miraculeuse intervention de Jackson. Puis, c’est Olive qui survient alors qu’elle attend patiemment ses oncles que l’Américain a promis de lui ramener. Elle se souvient ensuite, bien vaguement, c’est vrai, de sa séquestration chez Thomas dans le grenier sale, et il lui semble encore qu’elle se trouve dans le même lieu infect. Elle ne sait pas, elle ne peut pas savoir qu’elle a été presque sans cesse sous l’empire d’un narcotique. Aussi, tout s’embrouille-t-il dans son cerveau. Tout ce qu’elle peut se rappeler nettement, c’est qu’elle a demandé à boire une fois et Thomas lui a présenté un vin quelconque dont les effets lui parurent étranges. Mais depuis, jusqu’à cette minute où Thomas la maintient sous lui, tout n’est qu’un rêve mauvais, et son âme pure s’élève vers Dieu pour implorer qu’on l’arrache à ce cauchemar.

Malheureusement, le rêve semble persister. L’homme grossier qui ricane près d’elle vient de saisir ses mains pour la deuxième fois. Le bras droit de l’homme cherche à entourer la taille de la jeune fille. Elle se débat avec une vigueur nouvelle. Elle frappe au hasard, elle gémit, elle tente de mordre en dépit du bâillon qui lui comprime les lèvres.

Rendu furieux par cette résistance, Thomas saisit brusquement la jeune fille à la taille, la soulève et la renverse violemment. Le plancher craque et gémit. Cette chute, bien qu’assourdie, a fait du bruit. Les voix