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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

Maintenant, je désire savoir ce que vous avez fait de Louisette.

C’est alors seulement qu’Olive s’aperçut que sa victime n’était pas là.

La peur de ne pas voir sa vengeance aboutir à la fin qu’elle avait tant souhaitée la fit trembler.

— Demandez à ces hommes ! dit-elle avec mépris en désignant les compagnons de Jackson.

— Je sais déjà, mademoiselle, que la jeune fille n’a pas été trouvée dans cette maison.

Olive pâlit et ses regards se troublèrent.

Jackson l’observait, sans haine, mais plutôt avec une sorte de douce pitié à laquelle se mêlait, une admiration dont il n’était pas maître. Car l’Américain trouvait Olive plus belle ainsi, encadrée dans ce tableau sombre et funèbre, et toute palpitante sous les émotions diverses qui l’assiégeaient. Elle regardait Jackson, sans haine non plus, et maintenant elle semblait lui demander avec anxiété de démêler le mystère qui entourait tout à Coup la disparition de Louisette. Et sous l’éclat des yeux noirs et brillants d’Olive l’ingénieur se sentait aller comme vers un aimant qui l’hypnotisait : comme jadis, il subissait avec une ivresse qu’il ne pouvait dompter l’attrait puissant de cette belle lionne qui, au lieu de rugir selon sa coutume, demeurait tout à coup timide, craintive. Et Jackson qui, pour narguer cette jolie lionne, aurait voulu trouver des paroles cinglantes, n’arrivait à trouver sur le bord de ses lèvres et tout près de tomber que des mots d’amour. Pour la centième fois, peut-être, il se demandait pourquoi le destin avait placé un abîme entre elle et lui !… Oui, pourquoi ?… Car Jackson reconnaissait que son amour continuait de vivre pour cette fille rebelle, aux contrastes si étonnants, aux impulsions si diverses, intrépide, fougueuse, et en même temps si sensible. Parfois elle rugissait et s’apprêtait à mordre ; puis, tout à coup, elle frissonnait de crainte et son verbe haut et impérieux devenait un balbutiement ! Elle méditait les plus sinistres projets de vengeance, et soudain sa rage et sa fougue tombaient au choc d’une émotion douce ! Olive était femme, et la fragilité de sa personne se mariait à la fragilité de ses projets et de ses décisions. Sa nature l’induisait vers la soumission, vers la passivité, mais si le souffle de son tempérament impulsif soufflait sur sa pensée, elle se révoltait, se cabrait, mais c’était toujours pour rentrer, tôt ou tard, dans sa propre nature.

Et à ce moment encore Olive subissait une de ces nombreuses et subites transformations. Non pas de comprendre qu’en cette minute un homme fort la dominait mais d’apprendre que Louisette n’était plus en ce lieu où elle l’avait laissée. Pour cette jeune fille innocente qu’elle avait condamnée à l’ignominie, Olive ressentait tout à coup une pitié indéfinissable ; elle tremblait à la pensée que Louisette ne fût tombée aux mains d’un gredin sans scrupules. Et ce malheur et leurs conséquences désastreuses en fussent retombés sur sa tête, elle se sentait responsable d’une monstruosité. Au sein de la tempête de ses sentiments Olive ne voyait plus le but désiré ; mais dans l’accalmie elle embrassait l’iniquité du but atteint. Alors, elle avait peur ; alors, elle regrettait l’action précipitée ; alors, elle se fût brisée pour réparer le mal accompli.

Et à cet instant encore, Olive, découvrant l’infamie de sa conduite à l’égard de la petite-fille du père Marin, rougissait de honte et d’horreur. Maintenant, elle était anxieuse de retrouver Louisette pour la rendre à son grand-père, pour la rendre à Jackson même. Dans le cœur de la jeune fille il n’existait plus à cette minute que deux sentiments : le repentir et l’angoisse. Plus de haine, plus d’amour, de cet amour violent qui souvent la brûlait et la poussait vers la folie, plus de projets de vengeance, plus de rugissements, plus de menaces… dans l’âme d’Olive une prière à Dieu naissait, montait. À Jackson qu’elle aurait voué à toutes les morts l’instant d’avant, elle était prête maintenant à implorer son aide pour retrouver Louisette. Et cette pensée lui fît faire cette question à l’Américain ;

— Avez-vous visité l’étage supérieur ?

Du regard Jackson interrogea ses compagnons.

— On a, répondit La Vrille, visité la cave mais on n’est pas monté là-haut.

— Eh bien ! nous allons y monter, dit Jackson.

Il prit la bougie sur la marche de l’escalier, passa son pistolet à Dupont, avec ordre de tenir en respect les trois cavaliers, et suivi de Guillemain monta en haut.

Après cinq minutes les deux amis revenaient sans avoir découvert quoi que ce soit.

— Mademoiselle, dit Jackson, l’étage supérieur est tout à fait désert. Mais si vous voulez me dire toute la vérité sur l’enlèvement dont vous avez été le premier auteur, je me fais fort de retrouver celle que nous cherchons. Après, je vous laisserai aller en liberté, vous et vos compagnons.

Mais le ton froid et dominateur de l’Américain réveilla chez l’indomptable jeune fille des pensées qui avaient paru s’éclipser pour jamais. Sa jalousie la reprit, avec la jalousie