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Préface

Le cri d’alarme


Ce cri avait jailli du Parlement.

Comme l’éclat de la foudre il avait retenti, puis, d’écho en écho, s’était envolé jusqu’aux extrêmes limites du pays. Le Haut-Canada et le Bas-Canada avaient tremblé. Comme un enfant au berceau, tout à coup réveillé par le grondement du tonnerre, jette une clameur farouche et regarde avec terreur le noir que troue la lueur violente de l’éclair ; de même le peuple s’était dressé, et, frémissant, les yeux levés sur son Capitole, il avait tout d’abord gardé un silence sombre et menaçant.

Puis, un rugissement avait passé sous les cieux… de Montréal les Fils de la Liberté lançaient un suprême appel aux fils de la Race. Sous ce rugissement le peuple avait, un moment, courbé son front pâle.

Un silence très lourd avait encore plané sous les firmaments brumeux. Bientôt une sorte de bourdonnement s’était dessiné… ce bourdonnement avait grandi, et, graduellement, il était devenu clameur, puis tonnerre. Et malgré la voix retentissante de Papineau qui, de Québec, tentait d’arrêter l’élan qu’il avait le premier donné au peuple ; malgré la proclamation de la Loi Martiale ; malgré le geste brutal de certains militaires pédants ; malgré les supplications des mères ; malgré les pleurs des épouses ; malgré l’autorité énergique et sainte du grand clergé catholique ; oui, malgré tout cela, Chénier, brûlant de cette effervescence d’un sang jeune et généreux, aux Fils de la Liberté répondait d’une voix formidable :

— Rébellion !

Et alors, comme l’éclair zigzaguant au fond des ciels d’orage, dans la profonde épaisseur vaporeuse des nuages, une autre clameur, plus terrible, s’élevait, zigzaguait, déferlait…

— Aux armes !

Et c’était après soixante années de luttes politiques, d’abus administratifs, de trahisons, de menaces, de violences, d’empiétements sur des droits consentis et acquis… Oui, c’était enfin l’explosion des colères retenues, des rancœurs refoulées, des injustices subies… c’était la revanche !


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