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L’origine de Flambard

par Jean Féron


J’ai pris mon personnage dans l’Histoire d’Angleterre et voici ce qu’était ce personnage :

Il avait pour nom Raoul Flambard et c’était un Normand, né près de Rouen vers 1034. Ces temps sont si reculés et l’histoire était encore si rudimentaire que les précisions manquent. N’importe ! Après ses études il entra dans les Ordres. Vint la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. Notre Flambard passa le Détroit en 1068 ou à peu près. Intelligent, habile, rusé, il se fit nommer évêque de Durham vers 1071. De là il réussit à se hisser au pouvoir civil, et Guillaume lui confia les finances et la justice de son nouveau royaume. Il devint un personnage considérable, mais surtout redoutable. On le surnomma d’abord « Firebrand », puis « Le Lion ». Il seconda, contre la volonté du peuple Guillaume et son successeur Guillaume le Roux dans la construction de la fameuse Tour de Londres, la plus célèbre peut-être des forteresses, laquelle devint par la suite et tour à tour demeure royale et prison d’État. Cette construction exigeait de formidables dépenses. Le peuple, voulut refuser de cotiser. Flambard mâta le peuple, se fit donner l’argent, bon gré mal gré, et poursuivit son œuvre. On l’a accusé de concussions. Il est avéré qu’il amassa une grosse fortune avec laquelle il se sauva en France. Il vint un temps où il ne comptait que des ennemis acharnés à sa perte. On tenta de l’occire plusieurs fois, mais il sut avec son admirable flair, son courage et son audace, déjouer les complots, échapper à ses ennemis et les défier. Oui, mais un prince allait le faire rentrer sous terre.

En effet, à la mort de Guillaume le Conquérant, ses deux fils Robert et Henri le Beauclerc se disputèrent la couronne. Flambard appuya Robert qui régna une douzaine d’années sous le nom de Guillaume II dit le Roux. Flambard fut son bras droit et son soutien. À la mort de Le Roux, en 1100, son frère prit le pouvoir sous le nom de Henri 1er , mais il prit aussi sa revanche contre Flambard : il le fit enfermer dans la forteresse que lui, Flambard, avait élevée avec les écus du peuple. Toutefois, le nouveau roi se garda d’user de cruauté envers l’homme qui avait rendu célèbre le règne de son père. Flambard, évêque de Durham, eut toutes les libertés dans sa prison. Il avait ses serviteurs et ses chapelains, et, plus que ça, le roi lui accordait quelques deniers pour sa subsistance de chaque jour, quoique son prisonnier fût très riche.

Lui en profita pour reprendre sa liberté. Souvent il donnait des banquets à ses amis qui le visitaient. Un jour, il organisa un festin en l’honneur de ses gardiens. Il faut dire qu’il avait liberté de faire venir mets, victuailles, vins, etc., à sa guise. Il enivra ses gardiens à même les six cruches de vin qu’il avait commandées. Mais dans l’une d’elles ses amis du dehors avaient déposé un long câble. Une fois ses gardiens ivres morts, Flambard attacha solidement le câble à l’appui de sa fenêtre et se laissa glisser en bas où de ses serviteurs et amis l’attendaient avec un navire pour le conduire en France. Février 1101.

J’ajoute que sa fenêtre se trouvait à 65 pieds du sol.

La chronique dit encore que ce Flambard, évêque de Durham, était un personnage fort instruit, jovial, grand mangeur, grand buveur, grand jureur, aimant les femmes, et, bref, plus homme du monde qu’homme d’église. Il était encore joueur, bretteur et d’une galanterie qui lui valut d’innombrables aventures galantes. Au physique, c’était un homme gros, gras, lourd et « bien farci », ajoute un chroniqueur. Il mourut près de Paris en 1112. Cette date est incertaine.

Voilà le personnage authentique, et quel beau roman il y aurait à faire sur son compte !

C’est pourquoi ce type d’homme m’avait intéressé, et j’ai cru bon de donner à mon héros du Siège de Québec ce nom de Flambard. Va sans dire que je lui ai attribué les talents et qualités, dans une certaine mesure, de l’authentique Flambard.

Je vous envoie ces notes pour le cas où, plus tard, vous entreprendriez une belle édition de ce roman. Il serait peut-être intéressant alors de faire un avant-propos sur ces données, car il est à peu près certain qu’un grand nombre de vos lecteurs ignorent l’existence de ce personnage presque fabuleux.

Jean FÉRON.