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L’ÉCHAFAUD SANGLANT

l’intérieur, et ce fut tout : nulle main hospitalière et bienveillante ne vint ouvrir l’huis verrouillé.

— Eh bien ! eh bien ! Mathurin… cria le vieillard d’un accent jovial, redoutes-tu les voleurs et les meurtriers ? Voyons, ouvre ta porte et reconnais Maître Jean !

Ces paroles firent naître dans la baraque un nouveau grognement plus accentué, cependant, que le premier. Puis dans le silence de l’impasse et de la masure on put percevoir le bruit d’un pas lourd, le craquement d’un plancher et, enfin, un grincement de fer. L’œil-de-bœuf s’ouvrit. Une voix lourde et grossière demanda :

— Ah ! ça, vous, pourquoi venez vous me déranger, ce matin ?

Maître Jean put entrevoir dans l’œil-de-bœuf l’œil clignotant et morose d’un homme. Il se mit à rire placidement.

— Ben ! bon ! fit-il, on reconnaît enfin ses amis… Tout de même, il semble qu’on s’est levé ce matin le gros bout devant ?

— Mais non… mais non… Maître Jean, fit de l’autre côté de la porte la voix radoucie de l’homme. Et puis, après… vous ne savez donc pas la nouvelle. Maître Jean ?

— Au fait, sourit le vieillard, n’ai-je pas entendu parler de malandrin qu’on va prendre ce soir à la brune ?

— Justement. Alors, vous comprenez…

— Mais non, se récria Maître Jean, je ne comprends point.

— Ça, pardi, oui… vous comprenez…

— Pourquoi je te dérange ?

— Et aussi pourquoi je n’ouvre pas ma porte.

— Ah ! c’est juste… Ce matin, tu tisses ta corde ?

— Et, comme vous le savez, il n’y a que moi pour vous tisser une corde de pendu, et, naturellement, je tiens à garder mon secret.

— Tu te méfies donc de moi ?

— Non ! non !… mais, voyez-vous, le secret du métier !

— C’est bon, c’est bon, tisse ta corde, Mathurin, tisse-la solidement pour ne pas manquer ton coup !

— Soyez tranquille, Maître Jean. Mathurin le Bourreau ne manque jamais son coup !

Et l’homme derrière la porte se mit à grincer un rire ironique et méchant qui fit blêmir les joues rosées de l’ancien boulanger.

— Et alors, reprit ce dernier, tu connais ton homme ?

— Celui que je vais pendre ? Non. Mais tout à l’heure, une fois ma corde achevée, j’irai prendre la grosseur de son cou.

— Et tu dis que tu ne sais pas son nom ?

— Pas davantage.

— C’est bon, c’est bon, je te laisse, Mathurin. Je te souhaite chance. Salut bien et bonjour !

Le vieillard allait se retirer, quand l’autre l’interpella derrière son œil-de-bœuf :

— Vous savez, Maître Jean, sans rancune !

— Non, non, pas de rancune… tu me connais !

— Vous serez là, n’est-ce pas ? quand je hisserai le malfaiteur ?

— Ô mon Dieu ! voilà bien un spectacle qui n’a guère d’attrait pour moi.

— Oui, mais ça ne manque pas d’intérêt. Savez-vous comment on met la corde au col de l’homme ?

— Ma foi, non.

— Eh bien ! vous me verrez à l’œuvre… Vous verrez que je m’y connais, vous verrez. Je peux dire que c’est curieux et joli.

Le même grincement, le même rire résonna derrière la porte, et l’homme ferma brusquement son œil-de-bœuf.

Maître Jean haussa les épaules avec une sorte d’indulgence et quitta l’impasse.

Il poursuivit sa marche dans la ruelle, tourna plus loin sur une autre ruelle, mais plus large, plus claire et moins sale, et il s’arrêta peu après devant une petite maison, genre baraque encore, mais avec un aspect un tant soit peu coquet à cause du jardinet qui la précédait et où poussait une herbe verte et drue.

Là, encore Maître Jean frappa la porte de sa canne.

Une jeune femme, en jupon rouge et corsage de laine bleue, rougeaude et accorte, les lèvres souriantes sur des dents d’ivoire, vint ouvrir. À la vue du visiteur, elle s’écria avec l’accueil le plus invitant :

— Oh ! c’est Maître Jean !… Entrez, entrez, notre logis est le vôtre.

— Ah ! ah ! belle Chouette, fit le visiteur tout épanoui et riant, je te retrouve ce matin gaillarde et flamboyante… Et ton flandrin de mari ?…

— Il vient justement de sortir du peautre, Maître Jean, et il enfourne ses jambières pour se rendre à son poste.

— Décidément, ce flandrin de Pinchot porte bien son nom !

— Et voulez-vous savoir, Maître Jean, que voilà bien deux bonnes heures que je le tiraille par sa chemise pour le faire sortir du nid ?

Tout en parlant ainsi, la jeune femme riait de bon cœur et s’effaçait pour livrer passage au visiteur.

Comme ce dernier pénétrait dans la maison, qui n’avait qu’une seule et unique pièce, une voix enrouée et lourde encore de sommeil, partant d’un coin plus sombre, dit sur un ton enjoué :

— Ah ! bien, Maître Jean, voulez-vous ne pas trop faire le compliment à ma femme ?… vous me la gâterez !

— Mais non, mais non, répliqua vivement le vieillard. Une femme comme la tienne, Flandrin, ça ne se gâte point. Est-ce pas vrai, Chouette ?

Maître Jean, en même temps, pinça le menton rondelet et fosseté de la jeune femme.

Accoutumée à ces familiarités, la jeune femme se borna à rire candidement.

La maisonnette, nous l’avons dit, ne possédait qu’une seule pièce, et tout y était clair et propre. Le plus bel ordre régnait partout. À une extrémité et dans un coin on apercevait un haut lit à colonnades avec un sous-lit en forme de tiroir, et dans ce sous-lit un jeune enfant d’un peu plus d’un an continuait son paisible sommeil. Dans le coin opposé, on voyait un autre lit, mais plus petit, en forme de grabat, propret et blanc. C’est là que couchait le collégien