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L’ÉCHAFAUD SANGLANT

pères s’attablaient devant une cruche bien remplie et buvaient jusqu’à l’ivresse complète.

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Quant à Flandrin Pinchot, il faut d’abord revenir au drame de la potence, c’est-à-dire quelques minutes après que Flandrin fût tombé sous les coups de poignard de son amante qu’il n’avait pu ni voir ni reconnaître.

On se rappelle comment la jeune femme avait été sauvée de la pendaison par Maître Jean. On se souvient aussi comment Louison Pinchot, qui cherchait son père par la ville, était accouru, tout comme Maître Jean, aux cris poussés par celle que le vieillard avait si inespérément reconnue pour sa fille.

Louison, en voyant cette femme étrange se dresser et tendre vers lui ses bras, avait été saisi d’effroi, surtout lorsque cette jeune femme inconnue lui avait crié « Louis ! » avec l’idée de regagner bien vite le domicile de ses parents adoptifs.

Et, de fait, il approchait la maisonnette, lorsque soudain le rayon de son falot éclaira devant lui un homme qui, dans les flaques d’eau et la boue, se traînait péniblement sur les mains et les genoux. De suite Louison reconnut son père adoptif.

— Papa ! papa ! cria-t-il en accourant et tout saisi par la pire des angoisses.

— Louison ! Louison ! mon enfant… gémit Pinchot lourdement, je suis blessé… blessé à mort peut-être ! Aide-moi, veux-tu ?… Nous arrivons à la maison, n’est-ce pas ?

— Oui, nous arrivons. Mais il y a encore un peu de chemin à faire. Attendez… je vais courir pour aller demander l’aide de maman. À deux, je pense, il sera plus facile de vous soutenir.

Il partit à toute course.

Cinq minutes après, Louison revenait avec sa mère adoptive, laquelle, tout essoufflée et tout inquiète, s’agenouilla près de son mari.

— Ah ! mon Dieu ! s’était-elle écriée en apercevant Flandrin allongé dans une flaque d’eau, j’avais eu le pressentiment qu’il t’arriverait quelque chose, et c’est pourquoi j’ai envoyé Louison à ta recherche.

— Ma pauvre Chouette… ma bonne et excellente Chouette geignit Pinchot, tu ne peux pas savoir… on a voulu m’assassiner !

— Hein ! t’assassiner ? Mais qui ça ?

— Des malandrins, des voleurs… que sais-je ? Il faisait si noir que je n’ai pu les voir. Mais qu’importe ! je tiens quelque chose qui me les fera peut-être retrouver.

Il montrait l’écharpe qu’il avait tirée de sa poche. Mais le falot ne jetait pas assez de clarté pour qu’on pût bien voir l’objet.

— C’est bon, nous verrons cela à la maison, dit la jeune femme. Viens, mon Flandrin… Louison et moi allons te soutenir.

Il ne fallut que quelques minutes pour atteindre le logis.

Là, Flandrin tomba lourdement sur un siège. Sans perdre de temps inutile, sa femme le déshabilla pour mettre à nu la blessure et juger de sa gravité. Elle fut contente, et Flandrin aussi, de constater que la blessure était peu profonde et qu’elle n’avait aucune gravité. Seulement, Flandrin avait perdu pas mal de sang, et l’épuisement qui en était résulté le contraindrait à garder la maison une dizaine de jours pour le moins.

La jeune femme lava la blessure et le sang et fit un bon pansement avec des linges blancs préalablement imbibés d’un baume cicatrisant. De suite après l’opération, Flandrin se sentit mieux.

Alors seulement la jeune femme songea à l’écharpe que Flandrin avait glissée dans une de ses poches. Elle prit l’écharpe et s’écria aussitôt avec surprise :

— Une écharpe de soie rouge… et parfumée !

Elle laissa peser sur son mari un regard chargé de soupçons et de reproches.

Flandrin ne put s’empêcher de rougir et se troubler, croyant que sa femme devinait son secret. Pourtant, il essaya de retrouver une contenance, et il demanda, la voix pas bien sûre :

— Y a-t-il dessus un nom… une initiale ?

— Oui… souffla la jeune femme dans un hoquet… il y a une lettre majuscule… un L… Tiens ! regarde toi-même !

Flandrin, au reste, reconnaissait trop bien l’écharpe de son amante. Sa colère et sa jalousie le firent s’oublier. Il se dressa d’un bond, brandit un poing menaçant et cria :

— C’est elle… c’est elle qui m’a poignardé ! Oh ! la coquine de coquine…

Il éclata aussitôt d’un rire atroce, chancela et s’abattit lourdement sur le plancher…

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Huit heures du matin avaient sonné depuis plusieurs minutes, lorsque Flandrin sortit de son évanouissement. Non sans surprise il se vit couché sur son lit. Mais dans la maison personne ! Et Flandrin s’étonne de se voir seul. Où est la Chouette ?…

Quant à Louison, Flandrin se dit que l’adolescent a dû prendre le chemin du collège. Mais la Chouette, elle, où est-elle ?

Et le petit qui n’est pas là ?

À moins que sa femme ne soit allée quérir un chirurgien ? Car Flandrin se sent très mal. Il a là, au bas de la nuque, une grande douleur. Il entend au dehors mille rumeurs qui se croisent en tous sens.

Il se lève avec difficulté et non sans gémir, et il marche en titubant vers une fenêtre toute pleine de soleil.

Que se passe-t-il donc dans la ville ?

Il peut voir des gens — hommes, femmes et enfants — courir dans la direction de la rue Sault-au-Matelot.

Oui, il doit se passer quelque chose d’extraordinaire. Flandrin est bien curieux de savoir. Mais il ne peut aller plus loin que cette fenêtre, tant ses forces épuisées le supportent mal. Et puis, il sent qu’à demeurer là trop longtemps il va s’abattre sur le plancher.

Il décide de regagner son lit en attendant que sa femme revienne.

Il va, plus titubant… Mais là, son regard vient de se poser sur la table, et sur cette table il aperçoit un papier. Qu’est-ce que c’est que ça ?

Avec de grands efforts il marche jusqu’à la table.