Page:Féron - Jean de Brébeuf, 1928.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
JEAN DE BRÉBEUF

de la nation des Iroquois, dite « Les Agniers », lui avait jurée. Car le pouvoir de Jean de Brébeuf les hypnotisait ; ils étaient jaloux de cette force que nul des leurs, pas même leurs plus grands chefs, n’avait jamais possédée, et ils croyaient pouvoir détruire cette force et ce pouvoir en brisant la vie de l’homme. Ils ignoraient que la puissance de cet homme était en effet une puissance surnaturelle indestructible ; Jean de Brébeuf tirait son pouvoir de son grand amour de Dieu, de sa foi forte et inébranlable et d’une confiance sans limite dans la puissance et la bonté de son Créateur.

Le missionnaire alla donc fouiller les fourrés du voisinage. Tout était tranquille. La solitude pesait de toutes parts. Il comprit que les indiens s’étaient sauvés et qu’il n’aurait pas, pour le moment du moins, à redouter leur attaque. Il revint vers la clairière où son compagnon chasseur tirait d’un sac de toile quelques provisions de bouche, consistant en viandes des bois séchées et en galettes de maïs.

— Mes amis, dit-il, nous pouvons manger en toute tranquillité et nous reposer sans inquiétude.

— Ah ! ce n’est pas moi qui les redoute, Père, répondit le chasseur avec une moue de dédain. Je sais d’ailleurs qu’ils n’attaquent jamais deux fois au même endroit. Donc, pour l’instant je suis bien tranquille comme vous. Seulement, je ne serais pas surpris que, à la nuit venue, ils ne tentent de nous surprendre.

— Nous nous tiendrons sur nos gardes, Gaspard. Néanmoins, il est une chose qui m’intrigue : pourquoi ces pauvres enfants nous en veulent-ils ? Ceux-là me sont tout à fait inconnus. Je sais bien que je me suis fait, sans le vouloir, des ennemis parmi les Agniers, et je les connais bien, entre autres ce brave Araignée ; mais ceux que nous venons de mettre en fuite me paraissent étrangers. À quelle tribu appartiennent-ils ? Je me le demande. J’admets que je n’ai pu les voir nettement. Mais qu’importe ! mangeons un peu et reprenons des forces pour la suite de notre voyage.

Il s’assit sur la mousse de la clairière. Alors il remarqua que le jeune indien demeurait à l’écart, accroupi, la tête dans les mains, l’attitude très pensive.

— Ah ! ça, mon Jean, interpella-t-il doucement, qu’est-ce qu’on est en train de ruminer ?

L’indien leva la tête, montra une figure sombre et inquiète, et répondit en excellent français :

— Le Père Noir dit qu’il ne connaît pas ces indiens, mais moi je les connais !

— Tu les connais ?

— J’ai eu le temps de les reconnaître : ce sont des guerriers de l’Araignée.

— Ah ! ah ! fit le missionnaire avec intérêt.

Gaspard, le chasseur, fit entendre un grognement de mauvais augure.

— Si, reprit le jeune indien, les guerriers de l’Araignée courent ces bois, je suis certain que l’Araignée n’est pas loin.

— Et s’il est aussi dans ces bois, qu’en déduis-tu ? demanda le missionnaire d’une voix tranquille.

— Qu’il projette encore de s’emparer de Marie.

— Ah ! tu penses, mon Jean ?… Pauvre Marie ! ajouta-t-il avec un accent de grande compassion.

Il sourit, regarda le jeune indien avec une tendre pitié et reprit :

— Si tu ne te trompes pas, mon cher Jean, il faut avouer que l’Araignée devient un rival étrangement tenace.

— La mort seulement, Père Noir, nous délivrera de ce démon ! fit l’indien d’une voix sourde, tandis que ses regards s’allumaient de flammes terribles.

— Bah ! fit négligemment le missionnaire, je finirai bien par le réduire. L’Araignée est brave, courageux, intelligent, je veux en faire un chrétien un de ces jours.

— L’Araignée est lâche, Père Noir, prenez garde ! proféra le jeune indien. Il est rusé, sournois, trompeur, et il n’abandonne jamais le but qu’il veut atteindre. Vous l’avez dit vous-même, il est tenace. Ses guerriers ont une grande confiance en lui, et nul chef sauvage n’est aussi estimé et redouté.

— Tenez ! intervint le chasseur, vous me rendez malade avec votre Araignée ! Je le connais moi aussi, et je me suis bien promis de lui faire un jour ou l’autre son affaire ! Nom d’un tonnerre ! ce n’est pas Gaspard Remulot qu’il intimidera jamais, je vous en donne ma parole ! Et, la chose étant réglée, mangeons !

Jean de Brébeuf sourit.

— Mon pauvre Gaspard, dit-il, je te con-