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JEAN DE BRÉBEUF

bas, je suis prêt. J’éprouve aujourd’hui la plus grande joie de ma vie. Ô mon Dieu ! daignez ne pas faire tomber dans l’esprit de ces pauvres insensés des pensées de clémence, car alors je n’aurais plus cette joie sublime qui m’embrase comme de vos divins feux !

Par la pensée il contempla Jésus-Christ sur sa croix, et devant cette vision sainte et consolante il fit un rapide examen de sa vie.

Qu’avait-il à se reprocher ? Une seule chose : en sa jeunesse peut-être n’avait-il pas vécu assez en communion avec son Rédempteur ! Il se demandait s’il avait pu réparer cette perte de temps ou cette omission et s’il avait guéri ces blessures faites à Celui qu’il avait tant désiré ? Depuis qu’il était venu évangéliser les sauvages d’Amérique, il se persuadait qu’il n’avait jamais failli aux ordres de son Seigneur ou à sa volonté, et qu’il avait fait tout son devoir autant que ses forces humaines le lui avaient permis. Si, parfois, il avait été sur le point de faillir, il avait résisté et échappé au danger avec l’aide de Dieu qu’il avait aussitôt implorée. Et s’il eut des pensées de défaillance à certains moments de sa rude carrière, il en demandait maintenant le pardon au divin Maître s’accusant de n’avoir pas assez demandé les Forces Célestes. Puis, il fit une revue de ses travaux apostoliques.

Ah ! comme c’étaient là seize années bien remplies ! Il était venu avec toute l’ardeur d’une jeunesse vigoureuse, et d’une âme prête à tous les sacrifices pour la gloire du nom de Jésus.

En mettant les pieds sur le sol de la Nouvelle-France, il s’était écrié à son supérieur :

— Ah ! laissez-moi aller conquérir ces Hurons !…

Il partit. Il était vraiment digne de cet apostolat. Sa personne de chair humaine ne comptait pas, il l’oubliait totalement. Les premiers obstacles ne le rebutèrent pas. Les premières souffrances l’aiguillonnèrent. Parfois, chez ces sauvages méfiants, il fut reçu poliment, et le plus souvent avec indifférence ou brutalement. Il essuya humblement les injures. Sa douceur demeura inaltérable. Et sa personne, exhalant un suave magnétisme, attira bientôt les esprits les plus farouches. Il avait à peine prononcé vingt paroles, que déjà il s’était conquis des sympathies. Il combattait magiquement l’indifférence et la brutalité. Sa parole tendre et éloquente provoquait l’admiration. Sa patience émerveillait. Sa charité étonnait. Son abnégation et sa modestie lui apportaient de nombreux catéchumènes. Sa foi vive domptait les incrédules.

Une fois, alors qu’il entretenait une bande de hurons sur l’existence de Jésus-Christ, son martyre, sa mort et sa résurrection, un colosse parmi la bande se leva et souffleta durement le missionnaire en criant :

— Le Père Noir a menti, un tel homme n’a jamais existé !

— Le voici ! répliqua doucement Jean de Brébeuf en tirant son crucifix.

Le sauvage demeura interdit. Puis, dompté par la douceur et l’admirable patience du Père Noir, il s’assit près des autres hurons et écouta la parole divine. En peu de temps l’apôtre s’était conquis un prestige éclatant. On accourait par bandes du fond des forêts lointaines pour écouter la voix du Père Noir. Aux premiers temps de son apostolat, à cause de son courage et surtout de sa carrure qu’admiraient les indiens, on voulut le créer grand chef de la tribu et entrer à sa suite sur le sentier de la guerre.

En souriant il enseigna que Dieu commandait aux hommes de bonne volonté la paix sur la terre.

Il avait réussi à extirper chez ces enfants des bois l’humeur belliqueuse, il avait réussi à en faire un peuple doux, soumis et fidèle. Ah ! à la veille de quitter ce monde et en jetant un regard en arrière, Jean de Brébeuf pouvait partir content. Quelles richesses, quelles moissons il avait faites pour Dieu ! Il pouvait se réjouir… Fils de Dieu, il avait travaillé sans relâche à conquérir pour Dieu ; et fils de la grande et noble France il avait en même temps conquis pour elle et pour son roi ! Son œuvre demeurerait impérissable, car il savait bien que Dieu ne laisserait pas retourner à la friche ce terrain immense que lui, Jean de Brébeuf, avait infatigablement défriché.

L’unique chagrin qui le tourmentât un peu, c’était de laisser l’œuvre inachevée. Mais il se consolait en songeant que le grand Maître lui donnerait des successeurs. Et ces successeurs devaient être déjà choi-