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JEAN DE BRÉBEUF

beuf dans son saint ministère. Tous deux s’occupaient des blessés. Ils entendaient les confessions et absolvaient au nom de Dieu. Ils baptisaient les catéchumènes après avoir pansé leurs blessures. Les femmes qui n’avaient pas eu le temps de prendre la fuite lançaient des cris déchirants, serraient avec épouvante leurs enfants contre leur sein et criaient à Brébeuf :

— Sauve-nous, Ekon, sauve-nous !…

Jean de Brébeuf, toujours calme et souriant dans la tempête affreuse, les faisait rentrer dans leurs huttes, les apaisait et les fortifiait.

Gaspard continuait à soutenir le courage de ses guerriers hurons.

Mais bientôt la palissade craqua de tous côtés, vingt brèches au moins furent pratiquées à la fois, et trois cents Iroquois s’élancèrent à l’intérieur en brandissant leurs couteaux et leurs tomahawks et en criant. Ils apparaissaient comme une bande de démons surgis de l’enfer. Du côté de la forêt la palissade s’écroula. Et Jean de Brébeuf qui, à ce moment, se trouvait près de là, aperçut debout sur les abatis, bras croisés comme toujours, impassible et sombre, l’Araignée. Il regardait le carnage sans émotion.

Des Hurons, sur l’ordre de Gaspard, le mirent en joue de leurs fusils et de leurs arcs, mais ils le manquèrent. Le jeune chef esquissa un sourire dédaigneux. Gaspard allait recommencer, quand il jugea qu’il était trop tard : toute la bourgade était envahie et déjà les Iroquois tuaient à coups de haches et de tomahawks les femmes et les enfants.

L’affreuse boucherie recommençait.

Jean de Brébeuf, avons-nous dit, avait aperçu l’Araignée et l’avait reconnu dans la grisaille du matin. Mais ses yeux perçants avaient aussi découvert, en arrière du jeune chef, la silhouette de Marie. La jeune fille était seule et attachée à un arbre.

Le missionnaire courut à Gaspard, lui montra Marie et lui dit :

— Mon ami, tout est perdu. Mais avant que tout soit fini, je veux te demander de me faire le dernier plaisir : tâche de gagner inaperçu la forêt, cours à Marie et sauve-la… sauve-la, Gaspard, pour l’amour de Dieu !

— Je la sauverai, Père ! promit Gaspard avec énergie.

À cet instant, une bande de sauvages ayant aperçu le missionnaire accourait vers lui en rugissant et en brandissant leurs armes sanglantes. Gaspard saisit son fusil par le canon, s’en fit une massue et tête baissée se rua contre la bande. Il passa au travers, la renversant, la désemparant. Il gagna une brèche pratiquée du côté nord. La brèche était déserte. Gaspard la franchit et, se mettant à ramper au travers des abatis, réussit à gagner la lisière de la forêt sans être vu. Il fut bientôt derrière l’arbre auquel Marie était attachée. Il trancha ses liens, prit la jeune fille dans ses bras et détala à toute course dans la forêt. Il ne lui avait fallu que dix minutes pour accomplir cet exploit. Il avait eu deux regrets en quittant la bourgade : de ne pas être suivi de Jean de Brébeuf et de n’avoir pas eu une autre balle pour l’Araignée.

Quant à celui-ci il continuait de regarder avec une impassibilité de statue l’œuvre féroce de ses guerriers. Mais soudain, comme mû par une idée mystérieuse, il tourna son regard vers l’arbre où il avait fait attacher la jeune huronne. En constatant la disparition de la jeune fille un cri effrayant sortit de sa gorge. Il lança un poing menaçant vers le ciel, bondit et se rua dans la bourgade.

Le combat était fini. Tous les guerriers hurons étaient morts ou grièvement blessés, et ceux-ci étaient achevés sans pitié à coups de hache par les Iroquois. Là, on n’avait fait aucun prisonnier. Les femmes et les enfants avaient tous été massacrés. Et déjà quelques cabanes sous la torche incendiaire commençaient à flamber.

L’Araignée, en pénétrant dans le village, se trouva face à face avec un de ses lieutenants.

— Où est le Père Noir ? demanda-t-il rudement.

— Là, répondit le lieutenant. J’allais te chercher pour te le donner.

— Bien. Prends vingt guerriers et suis-moi !

Il marcha rapidement vers la chapelle que lui avait montrée son guerrier.

Jean de Brébeuf y était entré depuis quelques instants. Après qu’il eut donné l’ordre à Gaspard de sauver Marie, et voyant que la bourgade tombait aux mains des ennemis, il avait songé à sauver du sacrilège les saintes espèces. Il courut à la