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JEAN DE BRÉBEUF

dans le ciel, car pas la moindre brise ne soufflait.

Lorsque les deux missionnaires entrèrent dans la cabane de Jean de Brébeuf, Gaspard Remulot était en train de préparer le fricot du soir.

— Gaspard, dit Jean de Brébeuf, nous aurons ce soir un convive.

— Très bien, Père. Je vais faire rôtir une troisième tranche de chevreuil.

— Ah ! ah ! sourit le missionnaire, nous avons donc du chevreuil ?

— Tout frais tué et écorché, ce sera un festin !

Et Gaspard, qui aimait à bien manger de temps à autre, retourna tout joyeux à sa cuisine.

Les deux missionnaires s’assirent devant le feu de la cheminée.

— Mon Père, commença Gabriel Lalemant, des chasseurs de ma bourgade ont cru reconnaître deux petites bandes de guerriers iroquois à quelques milles à l’est.

— Si ce n’est que deux petites bandes, sourit Jean de Brébeuf, il n’y a pas à s’inquiéter. Avez-vous entendu dire que ces guerriers ont commis quelques déprédations parmi les bourgades qui nous avoisinent ?

— Non, mon Père. Tout le pays paraît tranquille. Seulement le signalement de ces deux bandes iroquoises a soulevé un peu d’inquiétude dans notre village. C’est pourquoi, inquiet moi-même, je suis venu vous consulter et vous demander s’il ne serait pas à propos de prendre dès demain des précautions.

— Certes, mon fils, la prudence nous commande de nous tenir toujours sur nos gardes. Comme vous l’avez vu, nous avons déjà pris des précautions en faisant un large abatis autour de notre bourgade, et je vous conseille fortement de faire de même. Nous courons moins de risques d’être surpris. Si les Iroquois s’avisaient de venir nous attaquer, nous pourrons les voir venir de plus loin et nous apprêter à les bien recevoir.

— Nous suivrons dès demain votre exemple, répondit Gabriel Lalemant. Mais j’ai aussi une idée : par surcroît de précautions ne serait-il pas sage de tenir dans les bois quelques éclaireurs qui surveilleraient les mouvements de ces Iroquois ?

— C’est une très sage idée. Seulement il ne faut pas nous exagérer le danger. Rappelez-vous que Monsieur de Montmagny va nous dépêcher à la fin de ce mois une compagnie de fantassins. J’ai demandé ce secours au gouverneur pour empêcher le renouvellement d’un massacre tel que celui de l’an passé à la bourgade Saint-Joseph, où le saint Père Daniel a trouvé la mort. Je suis à peu près certain que ces soldats de Monsieur de Montmagny sont en route. Avec nos guerriers hurons nous serons assez forts pour repousser les Iroquois et les mettre en pleine déroute.

— Je souhaite bien que ces secours arrivent au plus tôt, soupira le Père Lalemant.

— Ils viendront à temps, soyez tranquille. Je m’imagine bien que ces deux bandes rencontrées par les chasseurs de Saint-Ignace ne sont que des rôdeurs chargés probablement de se renseigner sur nos forces et nos moyens de défense. Il se peut fort bien aussi, vu peut-être la rareté du gibier dans leur pays, que ces guerriers iroquois soient venus chasser sur les terres des Hurons. Mais je demeure tout de même de votre avis : demain nous aposterons des sentinelles dans la forêt.

Les deux missionnaires continuèrent à causer paisiblement pendant dix minutes encore, quand Gaspard vint les interrompre pour annoncer que le repas était servi.

Mais au même instant Marie, tout agitée, pénétra dans la salle.

— Père ! Père ! cria-t-elle, le jeune chef iroquois est ici !

— L’Araignée ? fit interrogativement Jean de Brébeuf sans marquer de surprise.

— Lui-même !

— Par la barque de saint Pierre et ses filets grommela Gaspard, je cours chercher mon flingot et je lui flanque une prune !

Il courut chercher son fusil.

— Voilà bien une preuve, dit Gabriel Lalemant, que nos chasseurs ne se sont pas trompés.

— En effet, répondit Jean de Brébeuf pensif.

Au bout d’un moment il interrogea Marie.

— Où as-tu vu l’Araignée ?

— Debout sur la palissade.

— Du côté de la forêt ?

— Oui, Père, répondit Marie toute tremblante.

— Et qu’a-t-il fait ou dit ?

— Rien. Il était immobile. Mais je ne