CHAPITRE XIII
PENDANT QUE L’ENNEMI S’AVANCE
Depuis de longues années les Iroquois et les Hurons se faisaient mutuellement la guerre, mais le sort des armes avait plutôt favorisé les premiers qui s’étaient conquis un grand prestige. Les Hurons étaient devenus si affaiblis qu’ils n’avaient plus osé sortir de leur pays pour porter la guerre à leurs terribles ennemis. Puis la paix s’était faite comme d’un commun accord, sans qu’aucun traité eût été discuté, sans qu’on eût fumé le calumet de la paix.
Il faut dire que les vaillants missionnaires qui portaient la parole de Dieu chez les Iroquois, comme ceux qui enseignaient l’Évangile parmi les Hurons, avaient beaucoup fait pour empêcher les rencontres sanglantes entre les deux peuples.
Mais les Iroquois voyaient d’un mauvais œil les Français envahir peu à peu leur pays, et ne se croyant pas assez forts pour repousser les envahisseurs, ils avaient tenté de faire une alliance avec les Hurons. Mais ceux-ci semblaient préférer une alliance avec les Français pour combattre les Iroquois et venger leurs anciennes défaites. En effet, les Hurons firent des démarches auprès des Français en vue d’une alliance, et M. de Montmagny, alors gouverneur de la Nouvelle-France, leur promit des secours si les Iroquois les attaquaient. Mais ces derniers, soudain, se décidaient à faire la guerre aux Français. Ils avaient été soudoyés et armés par les colons anglais des côtes de l’Atlantique. Durant cinq années la Nouvelle-France eut fort à faire avec ces féroces sauvages. Puis, repoussés de toutes parts avec de lourdes pertes, les terribles guerriers songèrent à prendre leur revanche contre les Hurons qui refusaient toujours de s’allier à eux. C’est ainsi qu’au printemps de 1648 ils réduisirent en cendres le village de Saint-Joseph et massacrèrent la plupart de ses habitants.
M. de Montmagny promit des secours qui ne vinrent pas encore. Mais l’inquiétude des Hurons s’était apaisée en songeant que les Iroquois se trouvaient peut-être satisfaits par la destruction d’une bourgade. Aussi, commençaient-ils à vivre dans une sécurité relative, lorsque l’apparition soudaine dans leur pays du jeune chef Agnier sema parmi eux l’émoi. Mais Jean de Brébeuf réussit à calmer cet émoi non seulement par sa parole rassurante, mais surtout par le prestige merveilleux que sa personnalité possédait sur l’Araignée.
À mesure que l’hiver s’écoulait les Hurons semblaient oublier les événements de l’été d’avant, et ne paraissaient plus se rappeler les menaces de l’Araignée. Leur tranquillité était due non seulement à la confiance qu’ils avaient en leur Père Noir, mais aussi dans le fait que le jeune chef iroquois avait pris une huronne pour femme. Ils s’imaginaient que l’Araignée, par complaisance pour sa femme, ménagerait la nation huronne et que loin de demeurer un ennemi, il serait bientôt compté comme un ami puissant. Plusieurs guerriers hurons étaient d’avis que l’Araignée avait choisi Marie avec le secret espoir d’arriver à une alliance avec la tribu de la jeune femme. La conjecture n’était pas dénuée de bon sens. Aussi se reposèrent-ils sur cette probabilité, assurés qu’ils étaient que l’Araignée ne tenterait rien contre eux tant qu’une alliance n’aurait pas été discutée et rejetée.
Mais en voyant revenir Marie, en apprenant qu’elle n’avait pas épousé le jeune chef iroquois, qu’elle l’avait fui, les inquiétudes revinrent assiéger la peuplade malgré son plaisir de revoir la jeune huronne. L’événement lui avait paru fort grave : il n’y avait pas de doute que l’Araignée devait considérer la conduite de la jeune fille comme le plus grand des outrages que le sang de toute la tribu même ne suffirait pas à laver.
Marie n’était pas la dernière à redouter la vengeance du chef iroquois ; mais lorsqu’elle avait résolu sa fuite, elle avait espéré que Dieu saurait lui donner les moyens d’apaiser la colère de l’Araignée. Sa crainte s’accrut devant la crainte exprimée par le reste de la population, et alors elle commença de regretter de n’être pas demeurée au pays des Iroquois.
Un soir les principaux hurons s’étaient rassemblés chez elle, et l’un d’eux avait dit :
— Il est certain que cinquante soleils n’auront pas brillé que l’Araignée ne revienne te chercher. Alors il n’aura pitié de personne, ni de nos femmes ni de nos enfants.