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JEAN DE BRÉBEUF

avait avec lui la toute-puissance de ce Dieu !

Il s’arrêta devant le crucifix de plâtre et posa dessus ses yeux remplis d’amour.

Une bourrasque plus violente venait de secouer la cabane. Sur la bourgade une courte accalmie avait suivi. Mais tandis que les mugissements de la forêt continuaient de gronder dans l’espace, le missionnaire crut saisir un cri d’appel… un appel au secours ! La voix qui avait jeté cet appel, lui semblait-il, était une voix de femme ! L’appel lui avait paru lointain, comme venant du côté de la forêt et apporté par la rafale. Il tendit l’oreille… Le vent rugissait de nouveau, les bois mugissaient et craquaient.

Avait-il rêvé ?

Un pressentiment l’agita intérieurement. Il se rappela les menaces de l’iroquois. Si, profitant de la tempête, l’Araignée venait enlever Marie ? Jean de Brébeuf ne pouvait manquer de se défier du jeune chef iroquois, et la prudence lui commandait de veiller sur la jeune huronne. Il décida de se rendre à la cabane de Marie pour s’enquérir.

Il sortit.

La nuit était si noire qu’on ne pouvait pas voir à deux pas de soi. Pas de pluie, pas d’éclair, pas de tonnerre, mais du vent, des hurlements affreux dans la forêt, des craquements si terribles parfois qu’ils résonnaient au loin comme des mitraillades. Parfois aussi on aurait pensé que toute la forêt s’abattait, s’écrasait, tant le fracas était formidable. À tâtons le missionnaire se dirigea vers l’habitation de Marie. La rafale en plongeant dans la bourgade semblait vouloir emporter toutes choses sur son passage. Jean de Brébeuf serra sa robe autour de ses reins et hardiment fit face à l’ouragan. Il atteignit la hutte de Marie et entra.

Nulle lumière.

Il était dans une chambre de laquelle partaient des gémissements étouffés par le bruit de la tempête. Connaissant les aîtres de l’habitation, le missionnaire comprit qu’il était dans la chambre des parents de Marie. La suivante était celle de la jeune fille, et de là on se trouvait dans la salle commune.

Un moment le vent cessa de hurler.

— Où est Marie ? demanda le missionnaire aux parents de la jeune fille, qui continuaient de gémir sur leur lit.

— Elle est partie, Ekon ! répondit le père de Marie.

Les gémissements de la mère redoublèrent.

— Seule ? demanda encore le missionnaire.

— Non… avec l’Araignée !

— Avec l’Araignée…

Le missionnaire demeura atterré.


CHAPITRE IX

DANS LES SERRES DE L’ÉPERVIER


Après avoir quitté le missionnaire, Marie était rentrée chez elle. Son père et sa mère étaient couchés. Elle entra dans sa chambre et alluma une bougie. Ne sentant pas le sommeil, elle pénétra dans la salle, posa la bougie sur une bûche de bois près de la cheminée et s’assit sur une peau de castor. Son visage était calme. Elle ferma les yeux et demeura immobile. On aurait pensé qu’elle dormait. La tempête éclata, la jeune fille ne parut pas entendre ses grondements. Mais une fois la cabane craqua si terriblement que Marie ouvrit les yeux. La bougie, avec sa flamme vacillante, n’éclairait la salle qu’à moitié, et dans l’ombre tremblante les regards de la jeune indienne s’arrêtèrent sur une silhouette humaine debout et immobile à quelques pas devant elle. Elle ne parut pas se troubler beaucoup. Elle baissa ses yeux et pencha sa tête vers le sol, et demeura ainsi humble et respectueuse. La silhouette humaine ne bougea pas… c’était l’Araignée !

Enveloppé de sa cape brodée de poils de porc-épic, bras croisés, arrogant toujours, défiant, l’œil chargé d’éclairs, le jeune chef iroquois regardait la huronne. Les traits de son visage étaient impassibles ; sans les effluves mobiles de ses yeux, on aurait pris cet homme pour une statue.

Après un long silence l’indien prononça seulement :

— Madonna !

La jeune fille tressaillit, leva ses yeux et demanda d’un accent doux et plaintif :

— Que me veut le grand chef des Agniers ?

— Il te veut pour femme, Madonna ! répondit durement le guerrier.