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JEAN DE BRÉBEUF

Une nouvelle clameur s’éleva. Puis les indiens à la file, brandissant joyeusement leurs torches, prirent le chemin de la porte.

— Viens, mon fils ! sourit Jean de Brébeuf en entraînant le chef iroquois.

Vraiment confus cette fois, honteux presque, le jeune chef suivit. Avec quelle stupeur il venait de reconnaître la puissance de cet homme en robe noire ! Sa main puissante, qui pouvait frapper mortellement, se faisait douce et paternelle. Et cette main n’avait qu’à se lever, cette voix n’avait qu’à retentir, ces yeux n’avaient qu’à regarder… l’ennemi reculait, l’obstacle disparaissait, l’obscurité s’effaçait !

La procession s’arrêta devant la porte de la palissade, un guerrier l’ouvrit, et le missionnaire et son hôte s’avancèrent entre deux rangées de torches.

Devant la porte Jean de Brébeuf abandonna la main du jeune iroquois et lui dit avec douceur :

— Va, mon fils, en liberté !

L’Araignée franchit la porte d’un bond. D’un autre bond il sauta sur les abatis qui protégeaient la palissade. Un moment il s’arrêta. Il se tourna vers la porte de la palissade où se tenait souriant le missionnaire. Le jeune iroquois haussa sa taille, renvoya la tête en arrière avec un geste altier, secoua sa longue chevelure, puis tendit vers Jean de Brébeuf et la bourgade un poing menaçant.

Une clameur d’indignation partit de cent poitrines. D’un geste le Père Noir apaisa la tempête qui grondait. Il tira son crucifix et le tendit vers l’Araignée, disant de sa voix suave :

— Souviens-toi, mon fils, de ce que je t’ai dit : celui-ci est plus puissant que toi, il est plus puissant que tous tes guerriers réunis, il est plus puissant que le monde entier ! Si jamais tu sens qu’il t’appelle à lui, ne résiste pas ! Viens, et tu seras grand et fort !

Et lentement il le bénit.

L’indien fit entendre un grondement indistinct et s’élança vers la forêt.


CHAPITRE VIII

SINGULIER REVIREMENT


Toute la population de Saint-Louis était rentrée peu après dans ses foyers, hormis huit guerriers qui avaient reçu l’ordre du missionnaire de monter la garde le long de la palissade. Le silence s’était fait partout. La nuit était fraîche et très étoilée. Accompagné de Gaspard Remulot, Jean de Brébeuf fit le tour de la bourgade pour inspecter la palissade et s’assurer qu’elle était partout en bon état. Puis, satisfait, il dit :

— Maintenant, Gaspard, allons souper ! À propos, qu’as-tu fait de Jean Huron ?

— Je l’ai laissé à notre cabane. Il est bien tranquille.

— Bien, allons le retrouver.

L’instant d’après le missionnaire trouvait Jean Huron assis sur une peau d’ours, sombre et pensif.

— Allons ! s’écria en riant Jean de Brébeuf, voici une rude affaire de réglée, mon enfant !

— Non, elle n’est pas réglée, gronda sourdement le jeune indien.

— À quoi songes-tu, Jean ?

— À me venger de l’Araignée !

— Ah ! tu oublies déjà les enseignements de la religion qui commande de pardonner à nos ennemis ? dit sévèrement le missionnaire.

— Père, s’écria avec violence le jeune homme, il ne pardonnera pas, lui !

Bien qu’il fût christianisé, l’indigène retrouvait souvent sa nature vindicative, et il fallait aux soldats de l’Évangile beaucoup de tact, de douceur et de persuasion pour le contenir dans ses colères. Jean de Brébeuf réussissait toujours à dompter les fureurs chez ses ouailles. Il répondit au jeune indien :

— Mon enfant, je te l’ai dit souvent, la vengeance est l’arme des faibles. L’homme vraiment fort ne défie pas un cadavre, mais un vivant. L’homme qui se venge, est celui qui a peur. Or, toi, je te connais, tu n’as pas peur de l’Araignée, tu ne le redoutes pas, à quoi donc te servirait de le tuer pour te venger ? Non, crois-moi, cela ne vaut pas la peine. D’ailleurs Dieu se chargera du jeune chef iroquois. Sois tranquille et oublie l’Araignée ! Fais-moi ce plaisir ! Bientôt tu seras le chef de ta tribu et l’époux d’une jeune et belle femme qui te donnera d’immenses joies ! Songe à cette femme dont la pensée est toujours toute pleine de ton image ! Mieux que cela, va à elle pour retremper ta foi et ton courage ! Va à celle qui pardonne