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JEAN DE BRÉBEUF

s’élevait le village Saint-Ignace où résidait l’assistant de Brébeuf, le Père Lalemant.

Les deux bourgades se trouvaient en plein centre de la forêt et le gibier y était abondant. Le poisson abondait aussi dans les lacs et les rivières du voisinage.

Le village Saint-Louis était environné d’abatis et entouré d’une haute palissade de pieux. Cette palissade était aménagée, à l’intérieur, de plateformes et percée de meurtrières pour usage défensif en cas d’attaque par les Iroquois. La population du village comprenait environ deux cents trente habitants, hommes, femmes et enfants, et une centaine de huttes abritaient cette population. Les cabanes étaient faites de pièces de bois superposées les unes sur les autres. Les interstices étaient calfeutrés d’un mélange d’herbe et d’argile. Les toits, à pentes vives, étaient formés de perches recouvertes de rameaux de sapin et d’herbe, et le tout enduit d’une épaisse couche d’argile. Toutes ces cabanes se ressemblaient pour la plupart, et elles abritaient le plus souvent deux ou trois familles. Elles étaient bâties sur des lignes droites, et ces lignes devenaient des ruelles étroites où croissaient par touffes des saules et des peupliers. Tout était d’une remarquable propreté. À l’extrémité sud de la bourgade, tracée dans une forme rectangulaire, s’élevait la petite chapelle, bien lavée à la chaux, blanche, immaculée, avec un clocheton, et entourée de jeunes sapins et de saules. À côté, avec un parterre de sapins et de saules, était le domicile du missionnaire. Tout autour de la palissade, à l’intérieur du village, avait été tracé une sorte de chemin de ronde qui, bien entretenu, servait de promenade où les enfants allaient prendre leurs ébats. L’ordre régnait partout. Car Jean de Brébeuf, tout en enseignant la religion et la langue de France, ne négligeait pas l’ordre, la propreté et l’hygiène. Il donnait l’exemple de sa personne et par la propreté méticuleuse de son habitation.

À l’apparition des trois voyageurs, toute la population accourut à la porte de la palissade pour les saluer.

De toutes parts ce cri s’éleva :

— Ekon ! Ekon ! Ekon !

C’est ainsi qu’appelaient le missionnaire les sauvages qui ne savaient pas la français.

Les guerriers gravement s’inclinaient sur leurs armes. Les femmes s’agenouillaient et pieusement baisaient la robe noire de l’apôtre. Les enfants gambadaient, riaient ou poussaient des cris retentissants. Toute la bourgade manifestait sa joie au retour de son pasteur.

Une jeune fille se fit jour au travers de la foule et vint en pleurant se prosterner devant le missionnaire disant, les mains jointes :

— Père ! Père ! vous arrivez à temps !

Le missionnaire vit sur les traits de la jeune fille de l’angoisse et de la crainte. Il s’en émut.

— Que se passe-t-il donc, ma fille ? interrogea-t-il avec un sourire d’affection.

La jeune fille sans mot dire levait ses mains jointes vers lui. Alors Jean de Brébeuf découvrit entre les doigts de la jeune fille un petit rouleau d’écorce de bouleau.

Tout le monde s’était un peu écarté du missionnaire et de la jeune fille et formait autour d’eux un cercle étroit au premier rang duquel se tenaient Gaspard Remulot et Jean Huron, comme l’appelait Gaspard. Le silence s’était fait partout, et tous les yeux se fixaient avec attention et curiosité sur le Père Noir comme en l’attente d’un événement important.

Jean de Brébeuf prit le rouleau d’écorce. Une fois déroulé il avait la forme d’un carré d’environ six pouces. Mais le plus curieux, c’était le dessin étrange qui le couvrait : une main assez habile avait à l’aide d’un bois carbonisé tracé la forme d’un aigle, les ailes déployées, et cet aigle tenait dans ses serres une colombe.

Le missionnaire crut deviner la signification de ce dessin. Il regarda Marie, toujours agenouillée devant lui, puis Jean à qui il tendit le carré d’écorce, disant :

— Vois, mon fils, si tu comprends aussi bien que moi !

Le jeune indien considéra attentivement le dessin. Tous les regards se fixèrent sur le jeune homme, et tous les yeux purent voir son visage généralement impassible s’animer tout à coup et ses traits se crisper. Un frisson remua les spectateurs de cette scène. Jean venait de lever ses yeux sur le missionnaire et tout le monde avait pu voir surgir des flammes terribles dans les regards sombres et ardents du jeune homme. Lui, serra avec force le morceau d’écorce dans sa main comme pour le bri-