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JEAN DE BRÉBEUF

mier sillon de la foi. Tout était à recommencer. Jean de Brébeuf prit la besogne de front. Il se rua, pour ainsi dire, à l’assaut de ces forteresses païennes. Et déjà il amollissait ces âmes farouches et taillées dans la pierre, lorsque la Nouvelle-France passa aux mains de l’Angleterre par l’intermédiaire des frères Kerth à qui Champlain avait cédé Québec, incapable qu’il se trouvait de leur résister.

Jean de Brébeuf retourna en France, non sans emporter d’immenses regrets.

Ceci se passait en 1629.

Mais lorsque la France eut recouvré sa colonie en 1632 par le traité de Saint-Germain-en-Laye, Jean de Brébeuf fut autorisé à revenir au Canada et reprendre l’apostolat interrompu. Deux mois après la signature du traité, c’est-à-dire, à la fin de mai 1632, il s’embarquait pour Québec. Mais ce ne fut qu’au printemps de l’année suivante, c’est-à-dire en 1633, qu’il put se rendre au pays des Hurons. Cette fois il fut accueilli avec joie, mais tout de même il devait recommencer toute l’œuvre déjà accomplie. Il réussit si bien qu’en peu d’années il se vit le maître de ces tribus sauvages qui l’aimèrent. Jean de Brébeuf ne se contenta pas d’enseigner seulement la parole de Dieu, il enseigna la langue de France et commença d’inculquer à ces peuples barbares les coutumes et les mœurs européennes.

En même temps que la Croix il prit la hache. Il abattit la forêt redoutable, il fouilla le sol vierge, en fit sortir du maïs, du froment, des pommes de terre. En parcourant les forêts il rassemblait des bandes éparses, les réunissait aux abords des lacs ou des rivières et leur donnait un foyer stable en fondant une bourgade. Ainsi il les aurait sous sa main, il veillerait sur elles, les protégerait contre le contact d’autres peuplades réfractaires et les conserverait à Dieu. Pour combattre les vices qui naissaient de leur oisiveté, il leur enseigna l’agriculture, leur fit jeter à terre la riche toison de la forêt pour leur fournir une toison non moins riche et belle, celle des champs de blé et de maïs. Aujourd’hui, en cette terre de l’Ontario où grandissent des villes magnifiques, dont la terre fouillée et ensemencée est devenue d’une richesse productive extraordinaire, l’image de Jean de Brébeuf demeure : il fut l’homme qui, le premier, fit surgir de cette terre le village et les champs.

Car cet homme n’était pas seulement un voyageur et un découvreur, mais aussi un défricheur, et surtout un bâtisseur. Dénué de tout outillage, n’ayant que ses mains solides, sa croix et sa parole, mais aussi et surtout sa grande foi et sa confiance en Dieu, il renversa la forêt, en fit sortir la barbarie, l’attaqua, la vainquit et en moins de 16 ans il put conquérir à sa foi et au culte du vrai Dieu huit mille barbares.

Quel travail d’hercule ! Un travail accompli au sein de peuplades farouches, féroces, défiantes, amollies, fainéantes, souvent réfractaires ; un travail fait au milieu des pires dangers, dans les souffrances et les misères de toutes sortes… et jamais une défaillance ! Jean de Brébeuf pouvait-il défaillir ? Non ! Son œuvre lui apparaissait trop belle, si belle qu’il demandait à Dieu le temps nécessaire pour l’achever entièrement ! Il ne vivait plus que pour cette œuvre, il s’en passionnait, il l’aimait parce qu’elle était une œuvre agréable au Seigneur !

Mais qu’en retirerait-il ?… La faveur Divine ! C’était tout ce qu’il souhaitait. Que lui importait la gloire des hommes, les honneurs, la fortune ! N’avait-il pas quitté toutes ces belles choses en laissant son pays natal ? Il aspirait après l’unique gloire que Dieu réserve à ses serviteurs dans son Paradis éternel. C’était l’homme trempé de cette foi qui n’a d’autre borne que Dieu. Venu du sein de Dieu, il retournait à Dieu. Et rien ne l’arrêterait, rien ne le ferait dévier, sa dernière goutte de sang était déjà offerte à son Sauveur Tout-Puissant.

Ah ! c’est que Dieu, aussi, l’avait bien doué de qualités physiques et intellectuelles et de vertus morales pour en faire le serviteur et l’ouvrier qu’il avait voulu.

Au physique il imposait par sa haute taille et sa forte encolure. Ses épaules étaient larges et solides, ses bras et ses jambes fortement musclés, endurcis par tous les travaux les plus rudes. Large aussi était sa poitrine, bombée, puissante, comme faite pour recevoir les grands chocs. Mais aux durs travaux, aux souffrances de tous les jours, aux privations de toutes espèces, aux fatigues sans nom, il était devenu d’une maigreur excessive, si bien que toute son armature d’homme n’était plus