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FIERTÉ DE RACE

son mari qu’elle craignait et respectait. Sa parole était doucereuse et toujours encadrée d’un sourire long et mielleux. Elle avait le geste très recherché, et ce geste lui donnait une sorte d’autorité que Mme Renaud acceptait de bonne grâce, mais qui révoltait fort Mme Foisy…

Celle-ci, petite femme mince et chétive, d’allures vives, mais de visage froid et dédaigneux, surveillait les débats, mettant ça et là une observation, approuvant ou désapprouvant les théories émises par Mme Hartley ou Mme Renaud.

Cette dame Foisy était veuve d’un notaire. Elle n’avait qu’une fille qui, à ce moment, terminait son éducation au pensionnat de Sillery. Les quelques rentes laissées par le notaire suffisaient, pour le moment, à l’instruction de Gabrielle et au soutien de la veuve. Mais Mme Foisy en mère prudente, prévoyant que les rentes ne seraient pas éternelles, cherchait à se créer une situation indépendante. Non pas qu’elle songeât à une seconde union — elle était, pour des raisons qui ne sont pas de notre domaine, de ces veuves qui ne se remarient que contraintes par les nécessités de la vie — mais elle cherchait pour sa fille un parti aussi bien placé et aussi riche que possible. Bref, elle avait pour sa fille les vues de Mme Renaud pour sa nièce : c’est-à-dire que le choix du mari elle se le réservait intégralement, quitte à l’imposer brutalement.

C’est avec ces dispositions d’esprit et un programme dûment élaboré que ces deux dignes femmes tenaient séance avec Mme Hartley.

Celle-ci disait à Mme Renaud, assez bas pour n’être pas entendue de Lucienne :

— Savez-vous bien, ma chère amie, que je suis très impatiente d’annoncer la bonne nouvelle à James ? Je suis sûre que la petite lui plaira.

— Je n’en doute pas non plus, émit joyeusement Mme Renaud.

— Plus je l’observe, plus je la trouve délicieuse, ajouta Mme Hartley.

Vous la trouverez mieux encore, lorsque vous la connaîtrez davantage, assura Mme Renaud.

— Et vous, Mme Foisy, que pensez-vous de cette jeune fille ? interrogea Mme Hartley.

Mme Foisy jeta un regard indifférent vers Lucienne en train de causer avec son oncle, hocha la tête, fit une moue dédaigneuse, et répondit :

— J’avoue qu’elle n’est pas mal. Mais, sans vous déplaire, Mme Renaud, j’avoue aussi que je lui trouve bien des airs de campagne.

— Cela se comprend, s’écria Mme Renaud vexée : mais cela se passera.

— Un peu de société seulement la mettra au niveau des jeunes filles de Québec, déclara Mme Hartley.

— Je le souhaite, pour elle, pauvre fille ! fit Mme Foisy avec une pitié hypocrite. Malheureusement, ces filles de campagne ne se défont jamais complètement de leurs manières gauches et de leur démarche lourde.

— Mais Lucienne n’est pas gauche du tout ! s’écria encore Mme Renaud un peu plus vexée.

— Je ne prétends pas que votre pièce est gauche, chère amie, reprit aussitôt Mme Foisy avec un sourire froid ; au contraire, elle est gentille… je la trouve même adorable… en son genre.

— Très adorable, confirma Mme Hartley en regardant Lucienne du coin de l’œil.

— Ce que je voulais dire, poursuivit la veuve de notaire, est que ces jeunes filles élevées à la campagne sont sujettes à bien des étourderies auxquelles un garçon bien élevé ne peut s’accoutumer.

— Pauvre amie ! fit Mme Hartley avec apitoiement, combien de nos filles de la ville sont plus étourdies et moins sensées que celles de la campagne !…

— Je ne dis pas le contraire, répliqua Mme Foisy, irritée de se voir ôter l’échelle. Car elle-même — elle ne l’eût jamais avoué — était fille de paysan. Mais il faut observer ajouta-t-elle, que ces filles n’ont jamais épousé que des hommes d’origine campagnarde.

— Eh bien ! qu’est-ce que cela prouverait ?

— Cela prouverait seulement, et c’est beaucoup, vous en conviendrez, qu’un jeune homme grandi au sein de notre société — prenons, pour exemple, M. James, — s’accommoderait très mal d’une petite fille qui sent le terroir.

Ces paroles furent dites sur un ton plus élevé que ne le voulait peut-être Mme Foisy, car Lucienne entendit. Elle rougit très fort et ses petites mains furent secouées d’un vif tremblement.

Elle jeta un regard rapide sur le groupe des trois femmes, regard d’étonnement plutôt que de rancœur, et ce regard étonné, elle le reporta immédiatement sur la grosse et naïve figure de M. Renaud.

Lui, comprit ce regard de sa nièce. Il comprit aussi que les paroles légères et malveillantes de Mme Foisy avaient blessé la nature délicate de la jeune fille. Aussi, voulut-il la consoler. Et tandis que les trois dames poursuivaient leurs commentaires, M. Renaud murmura à l’oreille de l’orpheline :

— Petite, ne prête pas attention à ce que dit cette vieille toquée ; c’est un moulin à vent. Moi, vois-tu, je trouve que tu sens bon… bien bon !

Le bon sourire de l’oncle apaisa le trouble de Lucienne. Elle s’efforça de ne pas entendre les propos du voisinage.

Cependant, Mme Renaud avait relevé l’assertion de Mme Foisy.

— Ah ça ! chère madame, proféra-t-elle sur un ton piqué, vous parlez de terroir comme si Lucienne était la plus vulgaire et la plus épaisse des paysannes !

— Pardon ! répliqua sèchement Mme Foisy, je n’ai fait allusion qu’aux filles de campagne en général.

— Pourtant dans cette généralité vous ne manquez pas d’inclure ma nièce, rétorqua aigrement Mme Renaud.

Mme Foisy devint pourpre du front au menton. Un éclair sillonna sa prunelle grise et sa réplique allait être agressive et dangereuse.

Mais Mme Hartley, devinant ou pressentant l’approche d’une altercation, intervint.