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FIERTÉ DE RACE

les recherche. Aussi, est-ce un honneur pour M. Renaud et moi d’être liés à cette famille.

— Et mademoiselle Hartley ? demanda ingénument Lucienne, est-ce une jeune fille distinguée aussi ?

Cette question imprévue fit tressaillir Mme Renaud, qui demanda en fronçant le sourcil.

— Qui a pu te dire, petite, qu’il y a une demoiselle Hartley ?

— Personne, ma tante, répondit la jeune fille rougissante, puisque je ne connais personne encore.

— C’est juste.

— Simplement je suppose que des gens si bien doivent avoir une jeune fille qui leur ressemble, et cette jeune fille eût été pour moi une agréable compagne.

Mme Renaud se mit à rire.

— Ma pauvre Lucienne, dit-elle, je vais bien te désappointer : les Hartley n’ont point de fille.

— Ah ! fit Lucienne un peu déconcertée.

— Ils n’ont qu’un fils, James. Mais à défaut de compagne, tu trouveras dans le jeune M. Hartley un excellent camarade.

Les joues de Lucienne s’empourprèrent. La jeune fille sous l’œil malicieux de Mme Renaud abaissa ses regards sur l’album, son sourire candide parut se figer et les doigt effilés se mirent à feuilleter avec agitation.

Un sourire long et mystérieux se posa sur les lèvres grasses de Mme Renaud. Elle se renfonça dans sa berceuse, ferma les yeux et parut s’absorber dans ses propres pensées.

Par une fenêtre ouverte entrait le bruissement du feuillage caressé par la brise, des senteurs de verdure et de lilas. Les rumeurs de la cité n’étaient plus que de timides échos. Et le silence se prolongea.

Il fut troublé par le ronronnement d’une auto. Cette auto approchait. Elle s’arrêta un peu après devant la demeure de M. Renaud.

Un timbre résonna.

M. Renaud sursauta, grogna, frotta ses paupières et promena autour de lui un regard stupide. Il remarqua de suite Lucienne qui lui souriait doucement.

Quant à Mme Renaud, elle avait déjà gagné le vestibule.

L’instant d’après des exclamations joyeuses retentirent, des rires s’entre-croisèrent… puis, le lustre du salon éclaira les silhouettes de Mesdames Hartley et Foisy que précédait, très souriante, Mme Renaud.


III

Premières connaissances.


Lucienne s’était levée. Elle demeurait un peu confuse sous les regards immobiles des deux étrangères.

Mme Renaud allait faire les présentations d’usage, lorsque Mme Hartley la devança :

— Je devine, ma chère amie, que cette demoiselle est la nièce dont vous nous avez parlé l’autre jour ?

— Oui, c’est Lucienne, répondit simplement Mme Renaud.

Présentations…

M. Renaud, les yeux tout bouffis de sommeil, s’approcha et dit d’une voix enrouée :

— N’est-ce pas, mesdames, qu’elle est jolie notre nièce ?

— Mon oncle… reprocha doucement la jeune fille.

— Ne vous en défendez pas, mademoiselle, dit Mme Foisy ; votre oncle ne saurait dire que la vérité. Sans son sourire dédaigneux, Mme Foisy aurait pu paraître sincère.

Lucienne ne vit ou ne comprit pas ce sourire. De plus en plus confuse, elle balbutia ces mots :

— Vraiment, madame… je ne mérite pas…

— Bah ! interrompit M. Renaud en tapotant l’épaule de Lucienne, ne t’émeus pas outre mesure de ces éloges. Ma foi, oui, tu es jolie fille, et, diable, ça me fait plaisir de te le dire et plus encore de l’entendre dire, là !.

— Vous avez raison, mon ami, affirma Mme Renaud.

— Si j’ai raison ?… s’écria M. Renaud d’un accent convaincu, je te crois, Mélanie. D’ailleurs, je m’y connais, pas vrai ?

Mme Hartley et Mme Foisy échangèrent un sourire, tandis que Mme Renaud, dédaignant de répliquer à son mari, disposait des sièges de façon à pouvoir bien causer.

Mme Hartley continuait son examen de la jeune fille, comme pour en saisir tous les détails possibles.

Quant à Mme Foisy, elle avait dans ses regards gris et sur ses lèvres minces un sourire méprisant chaque fois que ses yeux allaient vers Lucienne.

La jeune fille avait repris son occupation de tout à l’heure et reconquis son calme. Un peu à l’écart, elle feuilletait l’album sous les regards attentifs de M. Renaud. Lui, les bras appuyés sur le dossier de la chaise de Lucienne, penché vers elle, passait de temps à autre une observation ou une critique piquante qui faisait bruire entre les dents d’ivoire de sa nièce un rire argentin.

Depuis un moment les trois dames s’étaient réunies en un petit cercle amical, — ce petit cercle si particulier aux femmes qui ont quelque chose à émettre sur le compte d’autrui. Oh !… ces petits cercles, au demeurant, ne sont pas méchants. Ils naissent de l’impromptu des événements nouveaux et sont tout simplement une autre forme de la chronique mondaine. On y fait le procès, pour ainsi dire, de tel ou tel individu… on canonise ou l’on excommunie ! Pas d’appel possible de ces tribunaux improvisés… tribunaux expéditifs où les témoignages sont rarement corroborés, devant lesquels l’opinion du plus fort ou du plus malin est l’opinion la meilleure ! Et malheur au pauvre diable encarcanné dans le petit cercle, il ne s’en tire jamais sans quelques coups d’épingle

Ce soir-là, le tribunal, composé de Mmes Hartley, Foisy et Renaud, jugeait Lucienne.

Mme Hartley paraissait présider comme d’ordinaire.

Bien que de pur sang anglais — selon Mme Renaud — Mme Hartley était une assez brave femme. Longue, sèche, grisonnante, avec des manières très étudiées, elle aimait à s’imposer, hormis, peut-être, en présence de