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FIERTÉ DE RACE

le prit les mains.

Mme Renaud recula, tremblante, livide, presque rugissante, comme une bête à laquelle on vient d’enlever une proie, et qui recule pour mieux bondir. Et Mme Renaud recula jusqu’à une bergère dans laquelle elle s’affaissa.

Le jeune Hartley avait aussi reculé à l’apparition de Georges Crevier ; il avait vu Lucienne, froide et dédaigneuse avec lui, se jeter presque dans les bras de l’autre, et il dut comprendre fortement, car il baissa les yeux lorsque Lucienne prononça, en le regardant, ces mots :

— Monsieur Hartley, c’est lui que j’aime !

Et ces paroles furent dites avec un accent si tendre de prières, de supplication, que le jeune Hartley releva soudain la tête. Il regarda longuement Lucienne avec une sombre amertume, puis, trouvant un faible sourire, il s’avança vers Georges Crevier auquel il tendit la main disant :

— Monsieur Crevier, je vous laisse à elle… soyez heureux… qu’elle soit heureuse !…

Et s’inclinant, il sortit.

Alors seulement Lucienne regarda Mme Renaud et, chose curieuse, Mme Renaud souriait… mais oui, elle souriait et d’un bon sourire… d’un sourire de tante… d’un sourire de mère…


CONCLUSION


Les Pâques furent belles et joyeuses… car Lucienne et Georges se sont épousés. Puis le voyage traditionnel, le retour, la petite noce, l’installation des époux… Et quelle installation !… Eh bien, oui ! le docteur Crevier avait fait don à son neveu de sa demeure embellie… cette demeure qu’il avait rendue luxueuse pour Lucienne… oui pour elle… puisqu’elle devait devenir sa nièce un jour ou l’autre. !… Ensuite, le vieux docteur — certes il n’était pas homme à ne faire que juste la demie — ah ! non… il avait donné toute sa fortune aux deux époux, ne se réservant pour lui que le cinquième des intérêts de son argent : car, pour traiter sa goutte qui l’avait malhonnêtement repris, cela lui suffisait !

Ensuite, par l’entremise de Lucienne, il avait versé aux époux Renaud une somme ronde de vingt mille dollars, ce qui était plus que suffisant pour leur permettre de finir convenablement leurs vieux jours. De sorte que, enfin, c’était le bonheur pour chacun et pour tous. Et Lucienne, reconnaissante, répétait souvent au vieux médecin :

— Monsieur le docteur, vous avez maintenant deux enfants pour vous soigner !

— Deux anges ! répliquait le docteur en clignant son œil gris et moqueur vers Georges épanoui de bonheur.

Et puis, pour terminer, il est juste de dire un peu ce que sont devenus les autres de nos personnages.

Un mois après le mariage de Lucienne, le gros banquier Cox épousait Mme Foisy, et, quinze jours après sa mère, Gabrielle se laissait volontiers épouser par le jeune Hartley — et par quel miracle, sinon par un de ces curieux phénomènes de l’amour ? Ah ! l’amour !…

Aussi, M. Renaud en apprenant ce mariage ne put-il s’empêcher de dire entre deux sourires :

— J’aurais plaint Lucienne si elle eût épousé Hartley ; mais à présent, sacré gué, c’est lui que je plains, pauvre diable !…


FIN