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FIERTÉ DE RACE

pour s’abandonner à son mari ; et lui, alors, pourrait profiter de cet abandon pour conquérir sa femme tout à fait !

Mais non, Lucienne ne se laisserait pas tromper ! Elle deviendrait l’épouse de Hartley, mais elle ne se donnerait pas ! Elle marchait vers ce mariage comme si elle eût marché à la mort. Tout ce qu’elle avait de vie en elle, elle l’avait donné à Georges Crevier ! Et même avec toute la gratitude qu’elle pourrait avoir pour Hartley, elle ne pourrait jamais lui donner un cœur… ce cœur, elle l’avait donné pour toujours.

Elle retournerait donc le chèque de $500. Elle le retournerait avec ces mots qu’elle écrivit un peu plus tard, après une longue méditation :

« Monsieur ».

Je reçois votre chèque pour une somme de $500.00. Je vous le retourne pour la raison suivante et pour d’autres considérations que je dois vous taire : j’ai accepté de faire une quête pour une œuvre paroissiale et religieuse. Je comprends que, accepter de l’argent que je n’ai pas sollicité, ne serait pas remplir ma tâche consciencieusement. Je retourne donc ce chèque que j’aurai l’avantage peut-être, de solliciter de vous un peu plus tard.

« Lucienne ».

Et elle mit la lettre et le chèque sous enveloppe.

Le soir du 27 décembre était le terme du concours.

Dans l’immense salle paroissiale, enguirlandée, pavoisée, illuminée sous une gerbe de feux électriques, une foule considérable se pressait. On avait installé des comptoirs de charité, des buffets, des jeux de hasard, des tirages au sort, des roues de fortune, etc. etc.

Des demoiselles très jolies — et il n’en manque pas dans notre belle race canadienne-française — accompagnées de jeunes hommes élégants, parcouraient la foule avec des objets quelconques sur lesquels on choisissait un numéro pour le tirage au sort. Les sous et les dollars tombaient de tous côtés. Pas un gousset qui restât sourd à l’appel ! Pas une main qui refusât l’obole aux sourires des belles demoiselles ! Et dans le brouhaha des allées et venues, des appels, des rires, des chants de fête, Lucienne et Gabrielle chacune de son côté, allaient ça et là au travers de cette foule animée, bruyante, joyeuse, sollicitant l’aumône. Là encore, c’était la pluie d’argent, la tombée des billets de banque. Et sur toutes ces têtes, ces joies, ces luttes amicales, ces rivalités honnêtes, planaient des airs de fanfare et d’orchestre.

À une extrémité de la salle, une large estrade s’élevait dans un éblouissement de lumières et parée des couleurs françaises et britanniques, et sur l’estrade une fanfare jouait des airs canadiens.

Tous les personnages de notre récit se trouvaient ce soir-là mêlés à la foule heureuse. Jusqu’au long et maigre révérend Hibbard — par quel prodige ? — qui promenait par-ci, par-là ses longues guêtres. Et Mme Hibbard, pas morose du tout, quoi qu’en eût pensé le long révérend, avait l’air de s’amuser énormément.

Les Hartley étaient là également. Le jeune Hartley avait, un moment, accompagné Gabrielle dans sa quête… il avait même échappé un chèque, presque sous les yeux de Lucienne, dans la sacoche de la folle fille qui riait, riait… à toutes choses et à tous venants. Et Lucienne avait vu le chèque glisser… Et cette indélicatesse du jeune Hartley avait vite fait le tour de la salle ! Tout le monde savait déjà qu’un fort beau chèque était tombé par mégarde — n’étais-ce pas plutôt par revanche ? — dans la jolie sébile de Gabrielle, et que ce chèque avait été échappé par la main du jeune Hartley ! On se demandait ce que la future du jeune homme devait penser d’une telle offense ! Naturellement, les cancans s’étaient mis à faire, eux aussi, le tour de la foule !

Or, Lucienne avait simplement souri au geste du jeune Hartley. Elle comprenait le motif de cet acte de son futur de qui elle n’avait pas encore sollicité l’obole ; et comme la clôture du concours approchait, le jeune Hartley, pensa-t-elle, avait voulu faire voir son mécontentement et sa déconvenue de ne pouvoir contribuer à la victoire de Lucienne. C’était donc une toute petite vengeance ! Et Gabrielle en riait à mourir, avec son nouveau compagnon quêteur qui n’était autre que le jeune M. Burnham.

On voyait aussi Cox et Fils dans la turbulente foule.

Le gros banquier avait passé toute la veillée avec Mme Foisy à son bras ; ils allaient d’un comptoir à un autre, d’un buffet à une roue de fortune, et encore… On disait, à qui voulait entendre, que M. Cox avait conté fleurette à Mme Foisy ! Une chose sûre, la veuve du notaire rayonnait !

Quant au digne fils Cox, nous ne savons qu’une chose : tiré, ce soir-là, à seize épingles, dame ! il regardait…

Tout près de l’estrade, Mme Renaud entretenait M. et Mme Hartley, et à tout instant elle ne manquait pas d’aiguillonner l’attention de ses amis par ces paroles vingt fois prononcées :

— Voyez donc Lucienne…

Mais la vilaine rumeur, qui avait dit que le jeune Hartley prodiguait ses chèques et ses billets de banque à Gabrielle, avait fait verdir Mme Renaud.

— Oh !… la petite sotte, pensait-elle en regardant Lucienne avec un œil courroucé, elle n’a pas fini avec moi !…

Donc, de tous nos personnages il ne manquait que ce bon M. Renaud. Pourquoi cette absence en un événement pareil ?… Nous ne saurions expliquer ce fait… Mais assurément M. Renaud devait avoir ses raisons.

Et le docteur Crevier !… Nous allions l’oublier… Oui, il était là le docteur, très élégamment sanglé dans une redingote toute flambant neuve. Il se tenait avec son neveu, pas bien loin de l’estrade, et tous deux suivaient Lucienne de leurs regards admiratifs.

Soudain un coup de clochette retentit.

L’un des organisateurs de la soirée monta