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FIERTÉ DE RACE

main, en disant :

— Ah ! monsieur Georges ! How do you do ?… De suite elle s’écriait en désignant sa compagne :

— Oh ! pardon me, dear Doctor ! J’oublie de vous présenter à mademoiselle Ma-r-r-tin !

— Mademoiselle Gabrielle, quelle est cette nouvelle que vous nous apportez, interrogea le docteur quand il eut indiqué des sièges à ses visiteuses.

— C’est un concours de popularité qui a été organisé pour le bazar de la semaine de Noël.

— Ah !

— Et l’autre nouvelle… je suis l’une des deux concurrentes.

— Vraiment ! Mes félicitations, mademoiselle, dit le docteur en s’inclinant.

— Merci des félicitations, dear Doctor ; mais ce n’est pas tout…

— Il y a donc une autre nouvelle ?

— Non. Je suis venue demander votre contribution.

— Mon Dieu, oui. Combien faut-il donner ?

— Mais… ce que où tout ce que vous voudrez.

— Je vous jure que je ne suis pas riche.

— Bah ! dear Doctor, ce n’est pas à la fortune qu’on s’adresse, mais à la générosité.

— Pardon, mademoiselle ! interrompit Georges. Pouvez-vous me dire quelle est votre adversaire, c’est-à-dire l’autre concurrente ?

— L’autre concurrente ? s’écria Gabrielle avec étonnement. Quoi, vous ne savez donc rien décidément ?

— Rien du tout, je vous assure.

— Eh bien, tant pis pour vous… L’autre, monsieur, c’est mademoiselle Renaud !

— Lucienne ?

— Quand je dis mademoiselle Renaud… fit Gabrielle avec, un sourire moqueur.

Le docteur et son neveu se regardèrent avec consternation. Leur dernier espoir venait de mourir ; Lucienne ne pourrait pas accepter le voyage projeté.

Et le docteur pensait en frissonnant :

— Et ce mariage qui se fera le lendemain de Noël !… Tout est perdu cette fois !


XVIII

Le concours


Pour ce concours les jeunes filles de la paroisse de Saint-Sauveur avaient à l’unanimité choisi Gabrielle et Lucienne.

La première avait accepté avec toute la vivacité de son esprit et avec sa vanité immense. Lucienne, s’était reculée devant la tâche ; mais on l’avait, pour ainsi dire, forcée de faire la lutte à Gabrielle. Et dès le jour même les deux adversaires s’étaient mises à l’œuvre.

Dès ce jour aussi, les paris avaient commencé et l’on disait que les plus gros parieurs s’étaient rangée du côté de Gabrielle.

Depuis huit jours Lucienne faisait quête à domicile ; les dollars pleuvaient dans la sacoche de cette douce et séduisante jeune fille. On savait que la quête était faite pour aider aux œuvres de la paroisse, et l’on était généreux. On était en même temps curieux sur l’issue de cette quête et de savoir quelle serait la bourse gagnante. Lucienne, fille modeste, travaillait donc pour une œuvre de charité, et non pas pour la vaine gloire d’une popularité éphémère. Et sa quête grossissait.

Gabrielle, de son côté, ne restait pas inactive. Car elle voulait la gloire… la gloire seulement ! Aussi s’était-elle arrangée, ou mieux ses admirateurs s’étaient-ils entendus pour lui faire une réclame assourdissante dans la Presse, les théâtres, les salons, les cafés, partout. Et en moins de huit jours le nom de Gabrielle allait de bouche en bouche, sa photographie passait de mains en mains, et la pluie d’or tombait… ruisselait ! Du moins, tel le disaient les admirateurs. Ils disaient encore que Gabrielle, après huit jours de quête, avait atteint le chiffre superbe de dix mille dollars. Sa popularité croissait de moment en moment. Et l’on disait aussi que Gabrielle n’avait pu suffire à une correspondance formidable, et qu’il avait fallu plusieurs secrétaires pour empiler les chèques des gros messieurs, pour adresser les remerciements. Pour tout dire, c’était une passion qui s’était déchaînée autour du nom de Gabrielle Foisy.

Pauvre Lucienne… hélas ! Son nom, sa personnalité, oui, toute sa petite personne exquise demeurait dans l’ombre et l’obscurité. Oh ! elle ne manquait pas d’amis… mais toute son œuvre charitable se faisait et se poursuivait sans bruit, sans réclame, sans ostentation.

Quelques jours après le début de ce concours, Lucienne avait reçu de James Hartley, Jr, un chèque pour la somme de $500.00 et les meilleurs souhaits du jeune homme. Il faut dire ici que le mariage avait été remis à janvier pour la raison que la jeune fille, très occupée par sa quête, ne pouvait se préparer comme elle l’entendait pour ce grand événement.

En recevant ce chèque de $500.00 elle demeura surprise et froissée en même temps. Par un sacrifice inouï elle avait accepté la main du jeune Hartley, et elle s’était engagée vis-à-vis d’elle-même à faire tous ses devoirs d’épouse, mais pas plus.

Or, le chèque de Hartley lui parut envoyé dans un but de séduction, séduction en ce sens que Hartley voulait peut-être s’attacher Lucienne par la reconnaissance. La jeune fille comprenait qu’en acceptant ce chèque elle se liait par un devoir de gratitude au jeune homme, et ce devoir de gratitude serait pour elle une reddition de soi-même à toutes les avances du futur époux. Il sembla donc à Lucienne qu’il y avait là un piège, et elle ne voulut pas s’y prendre. Elle n’aimait pas Hartley, elle ne pouvait l’aimer, et lui, connaissant les sentiments de la jeune fille, sentait que son existence future serait purement conventionnelle. Cela ne lui suffisait pas : il aimait Lucienne et voulait en être aimée, et il avait pensé que les attentions, les petits cadeaux pourraient peut-être briser la glace entre elle et lui. Oui, il pensait que Lucienne reconnaissante serait un jour forcée de sortir du cercle de la politesse froide, de la réserve, des conventions sociales,