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FIERTÉ DE RACE

— Mon oncle, je veux aller souffleter ce Hartley !

— On ne soufflette pas les imbéciles, on les méprise seulement.

— Mais il faut bien que je lui dise au moins qu’il a menti !

— Lui dire ça chez lui ?

— Oui.

— Mais il n’est pas chez lui.

— Où est-il donc ?

— Il est chez Lucienne !

— Chez Lucienne ?… rugit le jeune homme, et vous ne voulez pas….

— Non, je ne veux pas. Rentre ici !

— Mais pourquoi ne voulez-vous pas, mon oncle ?

— Parce que tu exposerais nos projets à la ruine. Non demeure. Tu verras Lucienne plus tard. Quant à Hartley, je l’arrangerai moi-même et de la bonne façon. Pour nous, il s’agit dès à présent de concerter nos plans de campagne et préparer la lutte pour la victoire finale. Tu peux être tranquille, cette lutte ne sera ni terrible, ni longue, et j’en serai l’âme et l’arme. Tout ce que je te demanderai, sera de suivre mes conseils et d’avoir pleine confiance en moi, à ces conditions je te promets Lucienne !

— Vous me la promettez ? Le jeune homme chancelait sous la joie nouvelle qui l’envahissait.

— Oui, Georges, je te la promets ta Lucienne !…


XVI

Le calvaire de Lucienne.


C’était bien le jeune Hartley que Georges Crevier avait rencontré devant la grille du parterre de M. Renaud ; et c’était le jeune Hartley qui, après avoir jeté la honte et le déshonneur sur Lucienne, allait ensuite frapper à sa porte. Certes, ce n’était pas par pure méchanceté que le jeune Hartley avait prononcé devant Georges Crevier les paroles affreuses ; il avait été emporté par la jalousie et l’ardeur d’une jeunesse irréfléchie. Georges le gênait… il avait voulu écarter ce fâcheux, ce rival peut-être dangereux, et la calomnie avait été la première arme à sa portée. Et, toujours irréfléchi, le jeune fou était aller frapper à la porte de celle qu’il venait de diffamer.

Tout ce lendemain de fête, Lucienne l’avait vécu comme en un rêve. L’événement annoncé par le docteur avait ouvert à la jeune fille des horizons pleins de soleil. Elle se sentait remontée d’un abîme profond dans lequel elle avait glissé peu à peu chaque jour. Et, après la mort entrevue, cette vision de vie nouvelle la transportait d’une joie céleste. À Dieu son âme chantait des actions de grâces. Toute cette journée elle la passa en des projets d’avenir et de bonheur. Et, le soir venu, ce fut avec une impatience fébrile qu’elle attendit ou mieux qu’elle guetta l’arrivée de l’aimé.

La joie de Lucienne, son impatience n’avaient pas manqué de frapper les regards observateurs de Mme Renaud.

Comme toujours, c’était dans le salon que se trouvaient réunis M. Renaud, sa femme et Lucienne. Mais depuis quelques mois l’intimité avait disparu entre ces trois êtres. M. Renaud demeurait toujours renfrogné et sombre. Mme Renaud affectait le calme et l’assurance ; car son autorité incontestable et incontestée lui assurait la suprématie de la force. Lucienne demeurait à l’écart, craintive et malheureuse. Jamais un mot de bienveillance, jamais un regard tendre, jamais un sourire n’était échangé entre les trois membres de cette famille. C’était une contrainte continuelle.

Mais ce soir-là — le soir de ce jour où Lucienne avait écrit à Georges Crevier « Venez… » — la jeune fille était souriante. Elle paraissait avoir oublié la scène terrible qu’avait faite Mme Renaud au retour de chez les Foisy. Cela était du passé, et Lucienne à cette heure tenait sa pensée fixée sur l’avenir. Aussi, dès après le souper, la jeune fille s’était mise au piano, au grand ébahissement de M. Renaud, et elle avait joué les airs que celui-ci aimait le mieux. L’instrument, après avoir été si longtemps silencieux, lançait sous les doigts souples de la musicienne des notes joyeuses dont pouvaient s’étonner les échos paisibles du salon. Et Lucienne jouait… jouait… De temps à autre elle chantait à ravir un couplet d’une romance amoureuse. M. Renaud demeurait en extase. Mme Renaud n’osait rien dire, mais ses lèvres exprimaient des sourires mystérieux tandis qu’elle écoutait la joyeuse musique. Parfois, elle applaudissait un morceau qui lui plaisait, pendant que M. Renaud disait :

— Répète donc ça, petite, c’est joli !

Et Lucienne répétait.

— Pourquoi, chérie, demanda une fois Mme Renaud, ne joues-tu pas une marche nuptiale ?

Enhardie par les espérances que lui avait données le docteur Crevier, et bien plus encore par la venue prochaine de celui qu’elle adorait et dont elle pourrait réclamer la protection, Lucienne répondit à sa tante :

— Parce que le temps n’est pas venu ; nous n’en sommes qu’aux fiançailles !

Et sitôt dit, Lucienne attaqua une marche alerte et vive.

Un éclair de fureur déchira la prunelle de Mme Renaud, et celle-ci allait peut-être apostropher l’audacieuse jeune fille, lorsque le timbre de la porte d’entrée résonna fortement.

Lucienne s’arrêta net. Dans un élan d’espoir et d’attente elle ne put s’empêcher de prononcer ce nom si cher :

— Georges !…

M. Renaud se leva pour aller recevoir le visiteur.

— Et Lucienne attendit, haletante.

Le sourire mystérieux de Mme Renaud parut s’amplifier.

Deux minutes plus tard, M. Renaud reparut précédant un jeune homme.

À cette vue Lucienne jeta une sourde exclamation de désappointement, elle pâlit et s’affaissa sur un siège près du piano.

Le jeune homme introduit par M. Renaud était le jeune M. Hartley.

Pas un mot, pas même un regard ne fut