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FIERTÉ DE RACE

— Si j’en suis certain ?… ricana l’autre avec un profond mépris. Vous doutez donc de mes paroles ?

— Oui, à moins d’une preuve…

— Une preuve…

En même temps l’inconnu se rapprocha de Georges, pencha son visage sombre vers le sien et lui souffla ces mots terribles…

— La preuve… allez la demander à votre oncle, le docteur Crevier !

Georges bondit. Ses deux mains se levèrent comme pour saisir et étrangler celui qui lui disait de telles monstruosités. Mais il se contint. Et comme l’inconnu s’était vivement reculé, Georges, à son tour, pencha sa face crispée par la souffrance et demanda sur un ton menaçant :

— Alors, pourquoi êtes-vous ici vous-même ?

L’inconnu sourit et répondit avec un calme parfait :

— Je me rendais chez vous pour vous faire cette communication, et le hasard a fait que nous nous sommes rencontrés en face d’une maison que nous devons dorénavant éviter.

Georges baissa la tête, il était atterré. Et alors, tout un drame d’amour déçu, de colère, de désespoir, de haine, de malédictions se déroula en son cerveau malade. Il revécut ses premières amours avec la pure, la chaste Lucienne. Il entrevit le bonheur de toute une vie, et ce bonheur était emporté par un souffle. Tout s’écroulait tout à coup, lorsqu’il venait à peine d’édifier ! Et l’image de Lucienne, qu’il adorait tantôt en son cœur enivré, lui faisait maintenant horreur ! Était-ce possible ?… Il revit l’attitude étrange de la jeune fille, son éloignement mystérieux, son silence obstiné. Il l’aperçut toute parée, toute belle, toute heureuse, fiancée à un autre ! Et lui, Georges, il l’avait aimée d’un amour sans tache, éternel ! À présent, il se voyait dédaigné, rejeté, bafoué ! Puis, cette fiancée vierge, cet ange, il l’aperçut — par quelle affreuse catastrophe ! — la proie, ou mieux, peut-être, l’amante d’un homme dont toute la jeunesse n’avait été qu’orgies et débauches ! Et cet homme, il le revoyait avec épouvante : c’était l’homme auquel, lui, Georges, était venu un jour parler de son amour pour cette adorable jeune fille ; et, sans le vouloir, sans le plus petit soupçon, sans le moindre doute, il avait réveillé les appétits du vil libertin. Et ce libertin monstrueux, qui avait enlevé à Georges tout ce qu’il possédait de plus cher, de plus précieux… ce lâche, qui lui avait volé sa vierge pour la jeter dans la fange et l’abjection c’était son oncle ! Ô déchéance !… Et le jeune homme continuait de plonger, de nager dans ces horribles visions qui suppliciaient son cœur. Une voix froide le rappela tout à coup aux choses de la réalité.

— Monsieur Crevier, disait l’inconnu, si nous continuons de demeurer ici, nous finirons par être remarqués ; il vaut mieux nous éloigner.

Georges frémit et leva la tête. Il regarda l’inconnu d’un œil terne. Puis, comme un enfant qu’on vient de gronder et qui va éclater en sanglots, il bégaya :

— C’est bien, monsieur… merci !

Il s’éloigna en titubant, frappé d’ivresse par son désespoir et son horreur.

Pendant une minute l’inconnu le regarda aller avec un sourire moqueur. Puis, il poussa la grille, pénétra dans le parterre et alla sonner à la porte de M. Renaud.

 

Georges marchait vite, et cet exercice parut, au bout de cinq minutes, calmer la tempête de ses pensées. Peu à peu il redressa la tête, affermit sa marche et parvint à donner à sa physionomie son aspect ordinaire. Mais dans ses regards chargés de lueurs éclatantes on aurait pu lire une sombre détermination…

Il sonna bientôt après à la porte du docteur Crevier.

La vieille Annette vint ouvrir et introduisit le jeune homme dans le cabinet du docteur. Celui-ci, bien enveloppé dans sa robe de chambre, sommeillait dans une chaise-longue.

Georges, en entrant, fit claquer la porte.

Le vieux docteur sursauta, frotta vivement ses gros yeux bouffis de sommeil, et demanda, surpris :

— Diable ! est-ce toi qui m’arrives ainsi ?

— C’est moi… et pour une bonne raison ! répliqua brusquement le jeune homme.

Le docteur considéra un instant son neveu avec étonnement. Il remarqua l’attitude défaite du jeune homme, son front livide et durement barré de rides, il vit les yeux rougis et dans ces yeux des lueurs d’égarement et de folie, et il regarda les lèvres pâles qui se crispaient dans un rictus sauvage, et le docteur constata que toute la personne de son neveu était haineuse et menaçante.

Alors, prenant un ton froid et autoritaire, il commanda :

— Assied-toi !

Et il s’était levé hautain et digne. Le jeune homme se sentit tout à coup gêné. Il obéit à la parole de son oncle et tomba, affaissé, sur un siège.

Le docteur, de sa voix sévère et grave, demanda :

— Que signifient, mon neveu, cette attitude étrange et ces paroles singulières ? Est-ce de cette façon qu’un neveu bien élevé pénètre chez son oncle ? Parle ! Explique-moi cette conduite, et ne me laisse pas sous l’impression désagréable que m’a causée ton entrée cavalière ! Réponds : que viens-tu faire ici ?

Georges leva son front à demi et d’une voix bredouillante répondit :

— Je viens vous demander des explications.

— Des explications ?… Quelles explications ?

— Je viens d’apprendre sur votre compte des choses terribles.

— Sur mon compte ? fit le docteur en pâlissant.

— Et sur le compte de Lucienne également.

— Hein !… elle aussi ?… ! La physionomie du docteur était livide. Ses regards exprimaient la stupeur et l’inquiétude, ses mains tremblaient, ses lèvres frémissantes ne parvenaient pas à prononcer les paroles tumultueuses qui s’y pressaient. Après un