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FIERTÉ DE RACE

naçante, elle leva une main sur la jeune fille, ses lèvres violacées se pressèrent par la violence de la rage. Mais la main levée ne retomba pas sur la courageuse jeune fille, les regards furieux de la tante ne foudroyèrent pas la pauvre nièce ; seulement, les grosses lèvres livides prononcèrent ces paroles comme un arrêt de mort :

— Tu seras sa femme… tu la seras, je le jure !

Et Mme Renaud s’en alla comme un vent de tempête.

Lucienne tourna ses regards épouvantés du côté du divan d’où M. Renaud n’avait pas bougé depuis le départ du docteur.

La jeune fille vit son oncle qui la regardait avec une timide tendresse. Elle courut se jeter dans ses bras, et, sanglotante, bégaya :

— Mon oncle, je n’ai plus que vous !

M. Renaud pleurait…


XIV

Chez madame Foisy


Mme Foisy avait reçu ses invités. M. Hartley n’était pas venu à cause d’affaires importantes à traiter. Quant à M. Renaud, qu’on ne voyait pas non plus dans la fête, il avait prétexté un malaise au retour de son bureau.

Parmi les invités de Mme Foisy on remarquait le révérend clergyman qui, toujours long, toujours maigre, toujours froid, promenait ses longues jambières par les appartements de Mme Foisy. Nous ne saurions dire pourquoi ?… mais le révérend, ce soir-là, paraissait soucieux et ennuyé. Quant à sa femme, grassette et rieuse, elle avait l’air de s’amuser beaucoup des calembours tirés par le jeune M. Burnham à Gabrielle, — calembours que ne semblaient pas déguster avec délice le fils Cox, empesé, guindé, rousselé, stupide dans l’éclat de ses diamants.

Il y avait encore bien d’autres amis ou simples connaissances de Mme Foisy : des vieux, des vieilles, des jeunes.

Le dernier venu au rendez-vous avait été le docteur Crevier. Il était radieux… du moins, il en avait l’air. Mais en observant avec attention sa physionomie, on pouvait saisir, au jeu de ses yeux, de ses sourcils qui se fronçaient de temps à autre, de ses lèvres qui s’agitaient et se crispaient souvent, certains soucis ou certaines inquiétudes qui se dérobaient derrière son grand front et sous ses longs cheveux gris. Étaient-ce des soucis d’affaires ? Peut-être !… À moins que ce ne fût des soucis d’amour !…

Toujours est-il que ce pauvre docteur, dès son arrivée, s’était vu la proie du révérend Hibbard. Oui, le docteur venait seulement de saluer Mme Foisy que le bon révérend l’avait accosté avec ces paroles :

— Ah ! mon cher docteur, je suis enchanté de vous voir. J’ai précisément besoin de consulter votre savoir au sujet de madame Hibbard.

— Bien, bien, mon révérend, avait répondu le docteur, qui ne tenait pas le moins du monde a donner ce soir-là des consultation… encore moins à titre purement gracieux. Et le regard du médecin, après s’être posé un instant sur la jolie et enchanteresse silhouette de Lucienne, avait, par ricochet, sondé une seconde le teint clair, rosé et bien portant de Mme Hibbard. Et il avait ensuite demandé au révérend, par politesse professionnelle :

— De quoi souffre madame Hibbard ?

— Hélas ! docteur soupira le révérend en baissant la tête, elle perd sa gaieté.

À cette minute même, le rire un peu grêle de Mme Hibbard rivalisait avec le rire retentissant de Gabrielle.

— Diable ! pensa le docteur, le révérend s’y perd, ou bien je m’y perds moi-même ; car il me semble que Mme Hibbard est d’une gaieté.

— Oui, mon cher docteur, poursuivit le révérend Hibbard en relevant la tête, cela m’inquiète : je n’ai jamais vu Mme Hibbard si morose. Savez-vous que la morosité est le plus effroyable et le plus dangereux des symptômes ?… symptômes, oserais-je dire…

Un éclat de rire énorme, formidable de Gabrielle coupa le fil au révérend, qui demanda avec humeur :

— Ne pensez-vous pas, docteur, que cette fille est très malade ?

Mais le rire de Gabrielle grandissait. Ce rire, presque fantastique, montait en rafales pour retomber par cascades. Gabrielle se pâmait tout à fait sous le nez idiot de Cox fils. Il y avait de quoi rire aussi… rire autant que cette Gabrielle… s’il fallut en croire la rumeur qui se mit à circuler avec la rapidité de l’éclair ! Or, cette rumeur disait que M. Cox, fils, venait justement de dire une chose très drolatique à Mlle Gabrielle qui, de plus en plus pâmée et près de tomber de rire, s’appuyait, avec son laisser-aller habituel, à l’épaule du jeune M. Burnham. Et cette chose, qu’avait dite à l’oreille de Gabrielle le jeune Cox avec son air que vous savez, avait été celle-ci :

— Mademoiselle, je sens mon cœur fondre sous le souffle ardent de votre amour !…

Gabrielle avait éclaté.

Pourtant cette Gabrielle, tout en paraissant ne s’intéresser qu’à son entourage immédiat, ne perdait pas de vue le jeune M. Hartley, qui s’était retiré tout auprès d’une étagère chargée de fleurs multiples et variées placée dans un angle du grand salon. Seul et triste, le jeune Hartley ne détachait pas ses regards amoureux de Lucienne.

Celle-ci, depuis un moment avait été accaparée par Mme Foisy qui toujours avec son sourire demi dédaigneux, essayait, par une causerie décousue et froide, d’intéresser la jeune fille. Mais Lucienne, au fond, était très ennuyée, et par instants son regard clair, mais un peu voilé ce soir-là, cherchait le docteur qui demeurait encore aux prises avec le long clergyman. Mais ce regard de la jeune fille, bien que voilé, était capté au passage par l’œil sournois de Mme Foisy qui, chaque fois, échangeait avec sa fille un signe d’intelligence.

Mme Renaud, avec Mme Hartley et Mme Burnham, s’occupait activement aux menus potins. Et lorsque surgissait l’occasion, elle ne manquait pas, cette bonne madame Re-