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FIERTÉ DE RACE

ger immédiat était écarté, Mme Hartley et son fils se retirèrent, mais non sans un fort désappointement. Au fond ils croyaient Lucienne plus malade qu’elle ne l’était en vérité. La crainte de voir leur projets rouler en poussière les inquiétait fort. Mais il en était bien autrement de Mme Renaud… elle avait envie, cette bonne tante, de s’arracher les cheveux tant son désespoir était grand. Déjà elle croyait tout perdu.

Il était neuf heures lorsque le docteur Crevier pénétra dans la chambre de Lucienne.

Son premier regard avait été pour la jeune fille qui lui avait souri comme à une personne en laquelle on a mis toute sa confiance, et de laquelle on semble attendre le salut dans les passées graves. Ce sourire de la jeune fille avait paru créer chez le médecin une émotion violente.

Mais il s’était vite raidi pour incliner ensuite sa tête grise en guise de salutation à Mme Renaud, et pour serrer la main que lui tendait M. Renaud.

Il s’approcha du lit de la malade, s’informa de sa santé d’une voix tremblante, et d’une main plus tremblante encore il prit le poignet de Lucienne tout en consultant sa montre. Déjà le docteur avait retrouvé toute l’assurance de l’homme médical.

Quand il eut constaté le pouls de la jeune fille, il se tourna vers les époux Renaud et dit :

— Un peu de fièvre seulement… ce ne sera rien.

Regardant l’orpheline, il ajouta :

— Mademoiselle, permettez-moi un conseil : il faut éviter les émotions trop fortes. Ce qui vous sera nécessaire pour un certain temps, ce sera le repos absolu de l’esprit, mais en même temps beaucoup d’exercices physiques. Mettons par exemple, quelques bonnes marches chaque jour, à des heures fixes, mais sans vous épuiser. Aussi, quelques sorties en voiture à la campagne, du grand air, du soleil, c’est ce qu’il vous faut…

— Docteur, interrompit M. Renaud, ne pensez-vous pas que quelques bons remèdes, comme vous pourriez bien lui en prescrire, seraient bien à propos ?

Le docteur se tourna vers M. Renaud.

— Qu’entendez-vous par remèdes ? demanda-t-il brusquement, comme s’il eût été choqué de voir un profane intervenir dans la matière. Il y a, reprit-il sur un ton sévère, remèdes et remèdes ! Sont-ce les drogues que vous voulez dire ? Non… je les défends à mademoiselle ; elle n’a pas besoin de ces choses si elle désire vivre encore. Les apothicaires, ce sont les agents de destruction auxquels ont recours les lâches qui ne savent pas résister aux luttes de la vie !

Plus gravement il ajouta, en dardant ses regards gris dans l’œil troublé de M. Renaud.

— Monsieur, si vous aimez votre nièce, ne lui conseillez pas le suicide !

M. Renaud baissa la tête, confus, et garda le silence.

Et toujours très grave, le médecin s’adressa encore à la jeune fille.

— Mademoiselle, je vous ai conseillé le meilleur traitement ; chasser les soucis et les chagrins, prendre des distractions, fatiguer un peu le corps. Je pense que rien ne vaudrait mieux qu’une promenade, un séjour de quelques semaines à la campagne. Il importe de changer d’air…

— Il ne dépend que d’elle de faire une belle promenade, insinua Mme Renaud toujours avec son sourire jaune.

— Vraiment, madame ? fit le docteur un peu surpris.

— Oui, docteur… si cette enfant voulait seulement m’écouter !

— Une longue promenade ?

— Un voyage d’Europe, peut-être !

Le docteur tressaillit. Il devinait quelque chose qui lui causait un émoi singulier. Car il avait, en venant chez les Renaud, croisé sur sa route Mme Hartley et son fils. Il garda le silence durant une demi-minute.

Puis il secoua sa tête grise avec un air de doute et dit :

— Madame Renaud, je ne conseillerais pas ce voyage à votre nièce, pas pour le moment du moins. Car ce voyage, dans les conditions de santé où se trouve mademoiselle, pourrait lui être fatal.

— Je ne dis pas, docteur, que ce voyage se ferait tout de suite… demain… ou même la semaine prochaine… non. Mais dans un mois, disons ; et d’ici ce temps-là la santé de Lucienne pourrait fort bien s’améliorer.

Cette fois, le docteur ne sut que répondre.

Il reprit le poignet de la jeune fille et parut réfléchir.

M. Renaud et Mme Renaud l’observaient avec un peu d’inquiétude. Lucienne paraissait sommeiller doucement depuis quelques minutes.

Au bout d’un moment le docteur murmura :

— Je pense que ça va mieux !

Lucienne releva ses paupières et dit d’une voix faible et avec un pâle sourire :

— Oui, je me sens un peu mieux.

— Oh ! ce ne sera pas grand chose, reprit le docteur, pourvu que vous suiviez bien mes conseils. Toutefois, afin de mieux m’assurer de votre état de santé, je vais vous poser quelques questions indispensables auxquelles il vous importe de répondre en toute franchise.

Se tournant vers les époux Renaud, il ajouta :

— Je vous prie de me laisser seul avec la malade pour un moment. Si j’ai besoin de l’un de vous, j’appellerai.

Les deux époux se retirèrent.

Le docteur alla refermer lui-même la porte et revint vers le lit de la malade.

Mais, alors, une transformation s’était tout à coup opérée dans toute sa personne.

Il avait perdu sa gravité professionnelle ; mais une autre gravité, si l’on peut dire, s’était posée sur les traits de son visage. Et ce visage était très pâle, il était blême. Ses lèvres, serrées l’une sur l’autre, avaient des remuements étranges, de même que ses prunelles grises laissaient échapper des lueurs singulières.

Un sourire malaisément comprimé, ou mieux un rictus tiraillait sa bouche. Il n’a-