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FIERTÉ DE RACE

nez ! moi-même, avant de me marier, j’étais comme Lucienne, maigre, pâle, nerveuse, languissante. Voulez-vous que je vous dise, chère amie ?… on se fait trop de bile quand on est jeune fille !

— C’est vrai ! avoua Mme Hartley.

À ce moment, le jeune Hartley qui n’avait pas encore prononcé une parole, demanda d’une voix tremblante :

— Mademoiselle Lucienne est-elle vraiment bien malade ?

— Oh ! rassurez-vous, sourit Mme Renaud. Une simple indisposition… un petit malaise passager qui l’a prise avant souper. Mais je suis certaine qu’elle est remise à présent… vous allez voir.

Elle appela aussitôt :

— Lucienne !

Aucune réponse ne troubla le silence qui suivit cet appel :

— Lucienne ! répéta Mme Renaud en élevant la voix.

Le même silence demeura.

— Elle s’est peut-être couchée pour un moment, émit Mme Renaud, et elle se sera endormie. Si vous voulez m’excuser, je vais monter à sa chambre.

— Mais, oui… allez, chère Mme Renaud. Mme Renaud s’éloigna pour se rendre à la chambre de sa nièce.

Elle trouva la porte hermétiquement close.

Dans cette porte elle frappa deux petits coups. Aucune réponse de l’intérieur.

Mme Renaud appela à voix basse :

— Dors-tu, chérie ?

Rien…

Sûre que Lucienne s’était endormie d’un profond sommeil, Mme Renaud se hasarda à ouvrir la porte. L’obscurité régnait dans la chambre. Mme Renaud marcha sur la pointe des pieds, et, tâtonnant, elle trouva le bouton électrique. Lorsque la lumière jaillit du plafond, Mme Renaud aperçut la jeune fille étendue sur son lit blanc, plus blanche que la blancheur des draps, et paraissant dormir.

Pourtant, en y regardant de plus près, ce sommeil parut fort étrange à Mme Renaud.

Elle courut au lit, saisit une main de Lucienne. La main était roide et froide. Mme Renaud eut peur, elle s’affola, secoua rudement la jeune fille. Celle-ci demeura inerte.

Alors Mme Renaud poussa un cri terrible.

À ce cri un grognement répondit de la pièce voisine. La minute suivante, M. Renaud, très blême, bondit dans la chambre ; il demeura stupide devant l’immobilité cadavérique de Lucienne.

Mme Hartley et son fils arrivaient, accourant au cri entendu. Ils demeurèrent comme épouvantés.

Durant une minute un silence terrible pesa sur les êtres et les choses de cette chambre où l’on croyait entendre battre les ailes de la mort. Chacun s’entre-regardait n’osant formuler la même pensée funèbre qui l’assiégeait.

À la fin, le jeune Hartley secoua sa torpeur et s’approcha du lit.

Il examina attentivement la jeune fille durant quelques secondes, et avec un soupir d’espoir, il murmura :

— Elle n’est qu’évanouie !

Toutes les poitrines respirèrent. M. Renaud grogna :

— Sacré gué ! il n’aurait plus manqué que ça !

Mme Renaud bégaya, la lèvre tordue :

— Comme j’ai eu peur, mon Dieu !

— Pauvre enfant ! souffla Mme Hartley avec des larmes à ses yeux.

Mais déjà le jeune Hartley commandait qu’on appelât un médecin.

M. Renaud, retrouvant ses jambes du jeune âge, partit comme un coup de vent vers le téléphone.

Lucienne demeurait toujours évanouie.


XII

Le Médecin


Le docteur Crevier, en robe de chambre et en pantoufles, examinait les travaux de réparation faits à l’intérieur de sa maison. Le cabinet de consultations, la salle de réception ou parloir et la salle à manger étaient depuis deux jours aux mains du tapissier, du peintre et du menuisier. L’étage supérieur était également en voie de transformation.

À cette heure de la soirée — huit heures et demie environ — un commerçant de meubles prenait des mesures, calculait, faisait un estimé du mobilier et décorations nécessaires. En même temps que ce commerçant, un vieux juif prisait les vieux meubles et en débattait assez aigrement le prix d’achat avec leur vieux maître. Mais le docteur n’était pas à ce point stupide de laisser aller ses biens pour la petite somme.

Le téléphone vibra longuement.

Le docteur y courut.

M. Renaud, d’une voix pleine d’angoisse, appelait le médecin auprès de Lucienne.

Ce nom produisit un choc violent sur le docteur : il pâlit affreusement. Ce fut d’une voix inquiète qu’il promit de se rendre à l’instant.

En effet, il oublia ce qui l’intéressait tant l’instant passé, il oublia le commerçant, il oublia le vieux regrattier juif, et ordonna à Annette de préparer ses habits.

En quelques bonds il eut gagné sa salle de toilette où il s’ablutionna d’eau froide, se parfuma, se poudra… Ce fut avec un sourire satisfait qu’il put contempler sa personne dans une glace.

— Allons, se dit-il, je rajeunis !

Un quart d’heure après, le docteur Crevier, alerte, mais un peu troublé par l’émotion étrange qui le tenaillait, sortit de chez lui, canne d’une main, sacoche de médecin de l’autre.

 

Avec les premiers soins reçus de Mme Renaud et de Mme Hartley, Lucienne avait repris sa connaissance.

Elle était très faible. Elle sourit difficilement à Mme Hartley qui ne cessait de répéter « Pauvre fille » !, et au jeune M. Hartley qui, fort gêné, cherchait à dissimuler sa présence dans un coin d’ombre.

Une fois qu’ils furent assurés que tout dan-