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FIERTÉ DE RACE

— Bien. Faites attendre, Annette !

La servante se retira.

— Je disais donc, reprit le docteur, que la fermentation des gaz se développe rapidement, puis ces gaz irritent les artères, les gonflent et produisent ces douleurs aiguës. Puis, il y a remous, refoulement des gaz, il y a accalmie… c’est à ce moment que vous éprouvez le bien-être. Or, la digestion reprendra son fonctionnement normal avec la tranquillité et le repos qui amèneront l’apaisement des nerfs. Ce qu’il faut éviter surtout, ce sont les longues veillées, les lectures assidues, les rêveries. Il faut surtout chasser les inquiétudes, les soucis. Quant aux aliments…

Nouvelle sonnerie de la porte, et la servante vint annoncer un menuisier.

— Bien, Annette. Dites que je serai disponible dans un instant.

La domestique sortit.

— Donc, reprit le docteur, les aliments devront…

— Pardon, cher docteur, interrompit Mme Foisy, il me semble qu’on vous attend, et peut-être que notre présence…

— Mais pas du tout, madame, laissez donc. Seulement, si vous permettez, j’irai donner quelques instructions au tapissier et au menuisier afin de ne pas retarder leur travail.

— Certainement, mon cher docteur, allez.

Le médecin s’inclina et sortit.

Alors, Gabrielle se leva d’un bond en éclatant de rire. Puis, elle se mit à sauter par la pièce, à gambader, à faire toutes espèces de grimaces à l’adresse du docteur absent.

Sa mère se pâmait tellement elle trouvait cela drôle.

Après force contorsions, sauts et mimiques. Gabrielle se campa devant sa mère et dit :

— Ce que le vieux s’est emballé au nom de Lucienne ! As-tu remarqué ?

— Et ce qu’il s’est troublé quand tu lui as dit que tu avais vu Lucienne entrer chez lui avec Mme Renaud.

— Je gage, maman, qu’il en est épris !

— Il n’y aurait rien d’impossible.

— Nous allons rire, maman, si tu veux dire comme moi. Tu vas voir comme la petite Renaud et le vieux vont attraper l’air !

— Que veux-tu faire, Gabrielle ?

— Laisse donc, maman, j’ai mon idée. Avec ça que le vieux passe pour le plus grand libertin de Québec ! Oh ! ça va être une farce à en crever !

— Penses-tu, Gabrielle, qu’il viendra à notre soirée, le docteur ?

— Si je le pense… Mais j’en suis certaine, puisqu’il sait y trouver sa petite Renaud.

— Renaud n’est pas son nom, Gaby.

— Puisqu’on est convenu de l’appeler comme ça… même que Mme Renaud n’a pas l’air entiché de l’autre nom… Comment déjà ?… Potichon… Godichon ?

— Robichon ! fit en riant Mme Foisy.

— Quel nom ! dit Gabrielle. Avec ce nom-là on peut s’étouffer… c’est comme un cornichon !

Et Gabrielle se mit à rire si fort, que Mme Foisy eut peur et commanda :

Retiens-toi, donc, Gaby, on va t’entendre !

— Ce que je m’en fiche ! C’est si drôle, maman. Et tu verras comment je vais arranger cet imbécile de James Hartley ! Non… tu ne peux pas t’imaginer comme je trouve ça comique !

Elle s’arrêta tout à coup, prit un air sérieux et demanda :

— Veux-tu savoir une chose, maman ?

— Dis donc !

— Avant trois mois, je m’appellerai Madame Hartley !

— Je le souhaite tant, Gaby… Oh ! ce n’est pas moi, tu sais, qui mettrai les portes sous clef !

— Je te crois, maman, tu es si bonne ! Brusquement la jeune fille mit deux baisers sur les joues de sa mère. Puis, elle exécuta un bond en arrière, et se mit à faire des pas de valse en sifflant un air d’orchestre.

Mme Foisy voulut encore rappeler sa fille à l’ordre.

— Gabrielle, soit donc prudente !

— Laisse-moi donc tranquille, maman, je te dis que je m’amuse ! Ah ! tu sais, ce n’est pas tout : il y a une autre figure dans ma comédie.

— Qui ça ?

— Tu ne devines pas ? Le petit Georges Crevier !

— Bah ! il n’est pas à craindre celui-là !

— Qu’importe ! je l’emploierai tout au moins comme figurant… il me semble qu’il fera une drôle de tête !

— Chut, Gaby !… souffla Mme Foisy. Le docteur revient.

Gabrielle ne fit qu’un bond et alla s’écrouler dans sa bergère.

Le docteur reparut.

— Je vous demande pardon, mesdames, de vous avoir fait attendre aussi longtemps…

Gabrielle, qui avait pu se donner une mine tout à fait brisée, dit, en regardant sa mère :

— Maman, je pense qu’il vaudrait mieux s’en aller.

— Te sens-tu plus mal, chérie ?

— Je suis très fatiguée, maman

— Eh bien, partons !

— Mademoiselle, dit alors le docteur, si vous pensez que mes soins…

My dear Doctor, interrompit Gabrielle je suivrai vos conseils de tout à l’heure, et si ça ne vas pas mieux après un certain temps, je vous appellerai. Viens, maman, donne-moi le bras !

Le docteur les précéda jusqu’à la porte de sortie, et Mme Foisy, ayant renouvelé son invitation, s’éloigna avec sa fille.

 

— Une fois seul, le docteur murmura ;

— Lucienne chez les Foisy ? Cela m’étonne ! Mais non… cela ne peut m’étonner avec une vieille sotte comme la bonne femme Renaud ! Ah ! pauvre ange ! Comme elle doit souffrir ! C’est égal, cela achève ! Oui, oui, cela ne sera pas long : dix jours pour mettre mon intérieur en ordre, dix jours pour les préparatifs et les formalités, et puis… Bon ! ajouta-t-il tout à coup, j’oubliais mon neveu !… À lui, maintenant…