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FIERTÉ DE RACE

bre des rideaux de la fenêtre.

Mme Foisy, ayant toussé dans son manchon pour dissimuler un sourire, prit la parole.

— Savez-vous, docteur, ce qu’on nous dit ?

— Que vous dit-on, madame ?

— Que la nièce de Mme Renaud est très malade. Vous connaissez Mlle Lucienne, docteur ?

Mlle Lucienne ? essaya de dire le docteur avec indifférence ; mais il se troubla légèrement et pour ne faire voir de rien, il parut chercher dans son souvenir.

— Parfaitement, reprit Mme Foisy, la nièce de M. Prosper Renaud.

— Tiens ! fit le docteur feignant l’ignorance, M. Renaud a une nièce ?

— Justement.

— Depuis quand donc ?

— Trois ans. Vous ne le saviez pas ?

— Est-ce une jeune fille ?

— Jeune et assez bien.

— Ah !… Quel âge ? demanda le docteur avec un air tranquille.

— Mon Dieu !… vingt ans, je crois. N’est-ce pas, Gabrielle ?

Gabrielle esquissa une moue dédaigneuse et répondit ; Oh… vingt ans… c’est sa tante qui le dit. Quant à moi, je pense que cette jeune demoiselle est déjà décorée de la coiffe…

— Cela se peut, dit Mme Foisy. Tout de même, docteur, c’est une fille assez gentille.

— Ah ! bien… gentille… interrompit Gabrielle avec un sourire de mépris dans lequel on pouvait fort bien saisir une pointe de jalousie. Il faut savoir dans quel sens prendre le mot. Certes, la demoiselle Lucienne peut très bien avoir une certaine dose de gentillesse, mais il faut avouer aussi quelle est joliment niaise.

— Gabrielle !… reprocha Mme Foisy, mais avec un sourire qui pouvait signifier pour sa fille : « Continue, chérie, tu vas bien ! »

— Oui, niaise ! répéta durement Gabrielle. Et puis après, maman, penses-tu que je vais décrocher du Paradis des prix de vertu pour celle-ci ou pour celle-là ?

— C’est juste, avoua Mme Foisy. Néanmoins, il est bon de réserver certaines opinions…

— Tu voudrais que je dise des faussetés à monsieur le docteur ?

— Mais non… pas ça, chérie ! Seulement, tu pourrais t’abstenir quelque peu.

— Allons donc, maman, à quoi cela pourrait-il servir entre nous ? Monsieur le docteur la connaît tout autant que nous, cette Lucienne !

— Moi !… autant que vous ?… Le docteur se troubla tout à fait sous les regards sournois de ses deux visiteuses.

— Quoi ! reprit Gabrielle, ce serait donc des blagues qu’on aurait faites en disant qu’on avait vu Mlle Lucienne sortir de chez vous ?

— De chez moi !… bégaya le docteur, qui se demandait avec épouvante comment il allait sortir de cette impasse.

Gabrielle se mit à rire.

— Docteur, n’essayez pas de m’en passer. Voulez-vous savoir une chose ? Moi-même, de mes yeux, j’ai vu cette demoiselle entrer dans votre maison en compagnie de sa tante, de même que je l’en ai vue ressortir, toujours avec sa chère tante.

Le docteur avait eu le temps de se ressaisir et de retrouver sa présence d’esprit.

— En ce cas, mademoiselle, je devais être absent.

Puis, comme si un souvenir eût traversé son esprit, il se frappa le front et ajouta :

— Attendez donc… je me rappelle, maintenant, que ma servante m’a parlé de Mme Renaud venue ici un après-midi… une jeune fille l’accompagnait. Oui, oui, mais je n’y étais pas…

Ici, le docteur, se sentant sur des charbons rougis, voulut détourner la conversation.

— Madame, dit-il en s’adressant à Mme Foisy avec un sourire de parfaite tranquillité, nous parlons là de choses futiles, et nous oublions que Mlle Gabrielle est très malade et qu’elle a besoin de soins immédiats.

Gabrielle, à ces mots, se rappela tout à coup qu’elle oubliait le mal qui l’avait amenée chez le docteur, et tout aussitôt elle se laissa glisser au fond du fauteuil, prit un air souffreteux et dit :

— Ah ! dear doctor, je suis en effet très malade, et mon mal est curieux, singulier. Ce mal se fait sentir par coups, pour ainsi dire, ça me prend et ça me laisse tour à tour. Par moments j’éprouve de très grandes faiblesses… un peu plus tard un grand bien-être se répandra partout dans ma personne. Plus tard encore, ce seront les mêmes faiblesses, mais cette fois elles seront suivies de douleurs aiguës…

— Où ressentez-vous ces douleurs aiguës ? interrogea le docteur.

— Un peu partout… cela voyage, c’est drôle, n’est-ce pas ? Tenez, à présent, c’est au côté gauche… comme un point… cela m’étouffe presque !… La voix faible, haletante, elle ajouta :

— Que pensez-vous de cela, docteur ?

Le docteur hocha la tête avec doute et lentement répondit :

— Mademoiselle, je pense que….

Le timbre de la porte d’entrée résonna.

Le docteur poursuivit ;

— Je pense, mademoiselle, que ces douleurs ont pour cause première un trop grand surmenage.

La servante entra, annonçant :

— Monsieur Georges, docteur !

— Faites entrer dans mon cabinet, Annette !

— Oui, mademoiselle, continua le médecin, trop de surmenage. Il va vous falloir un repos complet. Je vous conseille, pendant ce temps, beaucoup de prudence dans le choix de vos aliments.

Le timbre de la porte résonna de nouveau.

Le docteur ne parut pas y faire attention et poursuivit :

— Voyez-vous, mademoiselle, la digestion chez vous s’exerce très difficilement, les gaz s’accumulent sans pouvoir se faire jour…

Pour la seconde fois Annette vint interrompre le médecin.

— Docteur, c’est le tapissier que vous avez demandé !