Page:Féron - Fierté de race, 1924.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
FIERTÉ DE RACE

naturels de mademoiselle ?

— Aucune, je vous le jure, mon cher docteur.

— En ce cas, madame, pardonnez-moi, j’ai oublié un exemple : celui par lequel ou mieux la contrainte par laquelle une jeune fille est poussée à contracter une union qui l’épouvante !….

Lucienne devint très pâle.

Mme Renaud toussa, rougit, se trémoussa, reluqua Lucienne en dessous avec un œil de colère, puis regarda le docteur.

Lui, très froid, laissant ses regards aller de l’un à l’autre de ses visiteuses, semblait attendre qu’il fût de nouveau interrogé pour donner toute la mesure de sa pensée.

Mais voyant que Mme Renaud demeurait silencieuse, il interrogea :

— Ai-je bien diagnostiqué le cas de mademoiselle, chère madame ?

— Docteur, répondit Mme Renaud qui voulut payer d’audace, je ne veux pas nier l’autorité ni de vos paroles ni de votre science. Toutefois, je puis dire que vous vous trompez pas mal au sujet de ma nièce. J’irai plus loin ; mettons que votre supposition soit vraie, quel traitement, alors prescririez-vous pour améliorer l’état de santé de ma nièce ?

Le docteur se leva lentement, fit trois pas vers la porte, s’arrêta et prononça très gravement :

— Madame, je prescrirais simplement à mademoiselle un mariage autre que celui que vous projetez pour elle.

Mme Renaud bondit. Un hoquet coupa sa respiration, son visage cramoisi devint verdâtre. Mais c’était une femme forte que cette Mme Renaud. Elle comprit qu’elle venait de se compromettre. Elle se raidit, se contrôla, tira vivement une petite montre enfouie dans la ceinture de son corsage, et avec une surprise parfaitement bien jouée, elle s’écria :

— Oh !… Lucienne, quatre heures et demie !… Et ma visite que j’attends à cinq heures précises !… Vite, partons Lucienne, nous arriverons à peine à temps ! Mon cher docteur, ajouta-t-elle avec un sourire singulier je songerai à tout ce que vous nous avez expliqué, et s’il reste quelque chose d’obscur, nous reviendrons vous voir.

— Madame, répondit le docteur en s’inclinant, je serai à votre service.

Il s’écarta pour laisser passer Mme Renaud et sa nièce.

Et Mme Renaud se retira hautaine, gourmée, la démarche saccadée.

Lucienne passa lentement et digne devant le docteur qui s’effaça davantage et à nouveau les yeux bleus de la jeune fille exprimèrent au médecin confus une profonde reconnaissance.

Dans le vestibule le docteur devança ses visiteuses, leur ouvrit la porte de sortie pour s’incliner encore respectueusement. Lentement, doucement il referma la porte. Puis, tout à coup, il perdit son air grave et solennel, une bouffée de rouge lui sauta au visage, il pirouetta, gagna son cabinet d’un pas rapide, courut à la fenêtre dans laquelle il posa son front brûlant et ruisselant de sueurs. Et là, très pâle, haletant, hagard presque, les yeux fixes, désorbités, il regarda s’éloigner la frêle et gracieuse silhouette de Lucienne.

Quand la jeune fille eut disparu, il quitta brusquement la fenêtre, marcha à sa table de travail, saisit le téléphone.

Deux minutes… puis le docteur se mit à parler très vite, à mots difficilement articulés, d’une voix agitée, tremblante, méconnaissable :

— C’est toi, Georges ?… Bien, écoute !… Tu te rappelles ce que tu… m’as demandé… l’autre soir ?… Eh bien ! bonne nouvelle, mon vieux ! La démarche que je t’ai promise est accomplie. Je t’attends ce soir !… Bon, c’est ça !

Le docteur reposa l’instrument, fit trois ou quatre fois le tour de son cabinet, riant, grognant, jurant. Puis, il s’arrêta tout à coup, croisa les bras, pencha la tête, demeura silencieux, rêveur. Et, soudain, il éclata d’un rire énorme.

— Mon Dieu ! s’écria-t-il, me voilà fou !

Avec un second éclat de rire il s’abattit lourdement sur un sofa.


X

Le fol amour


C’était le lendemain.

Le docteur, bien serré dans sa redingote, rasé de frais, poudré, parfumé, alerte, l’œil brillant, quitta son bureau après avoir terminé une correspondance hâtive, gagna le vestibule et appela :

— Annette !

De la cuisine la voix de la vieille servante répondit :

— Oui, je suis là !

— Venez ici ! commanda le docteur.

Il rentra dans son cabinet qu’il se mit à parcourir fiévreusement.

La domestique parut.

— Annette, dit le docteur sans arrêter sa marche agitée, il va falloir vous imposer un peu de peine. Depuis assez longtemps je songe à réorganiser mon intérieur… Dès ce moment j’y suis décidé.

Il s’arrêta, croisa les bras et promena autour de lui un regard sévère. Il ajouta :

— Oui, il y aura beaucoup à faire, Annette. Ne trouvez-vous pas que tout cela a l’air un peu vieilli ? Ces meubles, par exemple, ces tapis, ces rideaux…

— Il me semble, répondit la vieille femme qui avait hérité un peu de la parcimonie de son maître, que tout cela est encore bien passable.

— Vous ne me comprenez pas Annette, fit le docteur avec impatience. Et puis, ma salle de réception est trop sombre, j’y peux à peine défricher la physionomie de mes patients. Je pense qu’il faudra tapisser cette salle de couleurs plus tendres et plus gaies. Mais alors les vieux meubles auront un air trop lourd et trop suranné. Il faudra donc les échanger pour un mobilier plus moderne.

D’un pas brusque il se dirigea vers la salle de réception, disant :

— Suivez-moi, Annette, je vais vous indiquer les changements à faire.