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FIERTÉ DE RACE

Gabrielle.

— Vous pouvez être sûre, madame, que je ferai tout pour devenir sa meilleure amie.

La conversation fut interrompue par le timbre de la porte.

Et aussitôt on entendit d’en haut la voix lourde de M. Renaud :

— Mélanie, on vient de sonner !

— Oui, j’ai entendu, cher ami. Je pensais que tu allais ouvrir.

— Et moi… c’est bon, j’y vais. On entendit encore M. Renaud tousser, grogner, puis, de son pas inégal et pesant, descendre l’escalier du vestibule.

— Je me demande, dit Mme Renaud à ses amies, quel est ce visiteur qui nous arrive ?

— L’heure est déjà avancée, fit Mme Hartley.

— Il n’est encore que neuf heures et demie, dit Mme Foisy en consultant une petite montre retenue à son poignet par un bracelet d’or.

— L’heure n’est pas encore indue pour un visiteur prononça Mme Renaud.

— Il se peut, reprit Mme Hartley, que ce soit James. À son retour du club il devait venir me rencontrer, si je n’étais pas rentrée.

À ce moment, M. Renaud introduisit un jeune homme.

Mme Renaud se leva vivement pour aller à sa rencontre.

— Soyez le bienvenu, dit-elle avec son sourire le plus engageant. Puis, regardant Lucienne, elle ajouta :

M. James Hartley…

Le jeune homme jeta un regard timide sur la jeune fille.

— C’est mademoiselle Lucienne, fit Mme Hartley.

L’orpheline avait déjà pour cet inconnu un sourire accueillant, mais plein de réserve.

Le jeune M. Hartley pencha la tête, rougit très fort, et regarda sa mère comme pour lui demander ce qu’il devait dire ou faire.

Mme Renaud vint de suite le tirer d’embarras en l’attirant vers un siège placé près de Lucienne.

Mais M. James n’eut pas le temps de répondre à l’empressement de Mme Renaud : car Mme Hartley, voyant la gêne de son fils et craignant qu’il ne commit quelque gaucherie, s’était levée et déclarait que l’heure lui commandait de se retirer.

Il y eu de part et d’autre l’échange des banalités de la séparation.

Quant au jeune M. Hartley, grand, mince, raide, froid et gauche, il réussit à plier l’échine devant Lucienne, revint à sa pose normale ou à peu près, décocha à la jolie fille un coup d’œil admiratif, et sortit sur les pas de sa mère.

Lucienne le regarda s’éloigner avec un air de pitié. L’instant d’après elle était seule dans le salon.

Alors il se produisit dans son être une sorte de détente, et elle se laissa tomber sur un divan. Elle renvoya sa tête blonde sur le dossier, ferma les yeux, et, pour la première fois peut-être dans sa vie, l’âme de la jeune fille sentit les piqûres de la souffrance. Ses lèvres se tordirent sous l’effort d’un sanglot difficilement contenu. Mais elle se raidit tout à coup en entendant une voix appeler du vestibule :

— Prosper !

— Eh bien, Mélanie ?

— Descends donc un peu ! commanda la voix impérative de Mme Renaud.

— Que veux-tu, Mélanie ? Est-ce que par hasard la petite…

— Il s’agit bien de la petite… répliqua la voix grondante de Mme Renaud ; c’est cette porte qui ne ferme pas !

— Cette porte ? Bon, j’y vais, Mélanie… le temps de sauter dans mes pantoufles.

Et plus bas il murmura, comme se parlant à lui-même, ces mots qu’entendit Lucienne :

— Je pensais quasi que cette pauvre petite était malade ; c’eût été dommage…

Lucienne eut un sourire charmant pour l’oncle absent !


IV

Les premières cartouches de Mme Renaud.


— Lucienne, tu ne m’as pas encore dit l’impression qu’à faite sur toi Mme Hartley ?

La jeune fille coupa court la mélodie qu’elle jouait au piano, et regarda sa tante occupée au rapiéçage d’un rideau de dentelle.

C’était le lendemain de cette soirée où Lucienne avait eu l’avantage de connaître un peu Mme Hartley et son fils.

M. Renaud était allé à ses occupations journalières. La tante et la nièce demeuraient seules dans ce salon tout embaumé par les senteurs printanières de cette matinée de mai.

Lucienne avait regardé sa tante sans répondre à sa question. N’ayant pas pour Mme Hartley l’admiration de Mme Renaud, la réponse à faire devait être bien ménagée. Et Lucienne se demandait quel était le plus sûr moyen à prendre pour ne pas diminuer le mérite de Mme Hartley dans l’esprit de Mme Renaud et, en même temps, pour conserver ses bonnes grâces.

Le silence de la jeune fille parut étrange à Mme Renaud. Elle demanda encore :

— Tu ne me réponds pas, chérie ?

Lucienne fit un effort et d’une voix hésitante :

Mme Hartley, ma tante ?… Mais… elle n’est pas mal… elle m’a l’air d’une très bonne femme…

Cette réponse un peu évasive, indifférente, fit froncer le sourcil de Mme Renaud.

— C’est mieux qu’une bonne femme, Lucienne, et tu as pu observer toi-même qu’elle est distinguée, très distinguée. Elle est aussi une femme très honorable.

— Oui, oui, ma tante, vous avez raison, très distinguée et très honorable, de même que cette madame Foisy…

Sans le vouloir, Lucienne avait laissé poindre un peu d’ironie.

Mais Mme Renaud, pas très perspicace, ne saisit pas cette pointe d’ironie, et elle répliqua vivement :

— Oh !… Mme Foisy est loin d’avoir le chic et l’élégance de Mme Hartley. Certes, Mme Renaud ne pouvait donner la louange à Mme Foisy, lorsqu’elle avait encore sur le cœur les remarques peu bienveillantes de la