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Que d’ans à te pleurer encore avant qu’ait lieu
Cette réunion qui n’aura plus d’adieu,
Cette heure où à son tour nous attendrons ma fille ?…
Tandis que je lui lis ces vers, ses larmes brillent
Vers ta photographie au-dessus de mon lit.
Elle baise après moi sur le papier pâli
Ta mante surannée et ton chapeau à brides,
Tes yeux clairs que l’helminthe a rongés, et tes rides,
Ta bouche, et tout ce qui n’est plus au triste enclos
Sous des ais défoncés qu’un peu de cendre et d’os,
Mémoire en tous les cœurs, hors le mien, disparue,
Nom qu’on ne connaît plus dans ta petite rue…

Mais je sais que, légère et subtile, tu vis
Dans l’éther, que ton corps fluidique, ravi
Aux servitudes de la terre, à ses souillures,
Contemple le divin dans la lumière pure,
Qu’ayant souffert, les morts ont pitié des vivants,
Que tu me guides vers le juste, et me défends.

Figure radieuse aux lignes éternelles,
Afin que mon amour te reconnaisse en elles,
Comme du noir charbon la flèche rose luit,
Fais du sommeil jaillir les clartés de la nuit,
Dans les abîmes bleus où, clairvoyante et libre,
Hors de sa geôle opaque et lourde, l’âme vibre.


17 décembre 1917.