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POUR MA MÈRE ADOPTIVE

Viens me voir cette nuit, maman, que dans un songe
Tout le bonheur brisé par ta mort se prolonge.
Viens, que je sois une heure encore ton petit,
Le blondin sur ta gorge ou dans ton cou blotti,
Ou bien, tel que le temps me ravine et me penche,
Ô mère aux cheveux noirs, ton fils à tête blanche.
Que j’entende ta voix qui m’aime et qui s’émeut
À ma voix. Mais je crains un fantôme brumeux
Et voilé, car le doute est cruel qui se lève,
Et fait même en dormant dire : « Ce n’est qu’un rêve »
Pourquoi demeuras-tu si pâle l’autre fois,
Froide sous mes baisers et sous mes pleurs sans voix ?
D’un sourire si tu savais quel poids tu m’ôtes,
Peur de t’avoir fâchée avec d’anciennes fautes.
Mais souffrir purifie, et suis-je pas meilleur
Pour quarante ans d’humilité dans la douleur ?
Dans la douleur aussi cruellement sentie
Ce jour qu’au premier jour, lorsque tu es partie,
Quand jeune et pauvre encore hélas ! je n’aurais su
À ma mère au grand cœur rendre le bien reçu,
Que d’un ciel étranger me troublaient les présages,
Et que sans mon baiser tu mourais au village…