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mon bien, et je n’y ose toucher : tout n’ira-t-il pas à eux après ma mort ?

Dorante. — Ce n’est pas à eux que vous conservez votre bien, c’est à votre passion. Il y a deux plaisirs, celui de dépenser et celui d’amasser : vous n’êtes touché que du second ; vous vous y abandonnez sans réserve, et vous ne faites que suivre votre goût.

Harpagon. — Mais encore, s’il vous plaît, à qui ira ma succession ?

Dorante. — À vos enfants, sans doute ; mais lorsque vous ne pourrez plus jouir de vos richesses, lorsque vous en serez séparé par la dure nécessité de la mort : votre volonté n’aura nulle part alors au profit que feront vos enfants. Vous leur avez refusé tout ce qui dépendait de vous, et ils ne seront riches alors que parce que vous ne serez plus le maître de l’empêcher.

Harpagon. — Et sans mon économie, ce temps-là arriverait-il jamais pour eux ?

Dorante. — C’est-à-dire qu’ils se trouveront bien de ce que la passion d’amasser vous a tyrannisé, pourvu que vous ne les ruiniez pas auparavant ; car c’est ce que j’appréhende : et c’est ce qui montre encore que vous ne les aimez pas.

Harpagon. — Jamais homme n’a dit tant de choses aussi peu vraisemblables que vous.

Dorante. — Elles n’en sont pas moins vraies, et la preuve en est bien aisée. Y a-t-il rien de plus ruineux que d’emprunter à grosses usures ? Vous savez ce que font vos enfants, vous savez ce qui vous est arrivé à vous-même : ils ne le font que parce que vous leur refusez les secours les plus nécessaires ; s’ils continuent, ils se trouveront,