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chassé du royaume, j’y suis rentré deux fois triomphant. Pendant mon absence même, c’était moi qui gouvernais l’État. J’ai poussé jusqu’à Rome le cardinal de Retz ; j’ai réduit le prince de Condé à se sauver en Flandre ; enfin j’ai conclu une paix glorieuse, et j’ai laissé en mourant un jeune roi en état de donner la loi à toute l’Europe. Tout cela s’est fait par mon génie fertile en expédients, par la souplesse de mes négociations et par l’art que j’avais de tenir toujours les hommes dans quelque nouvelle espérance. Remarquez que je n’ai pas répandu une seule goutte de sang.

Richelieu. — Vous n’aviez garde d’en répandre ; vous étiez trop faible et trop timide.

Mazarin. — Timide ? eh ! n’ai-je pas fait mettre les trois princes à Vincennes ? Monsieur le Prince eut tout le temps de s’ennuyer dans sa prison.

Richelieu. — Je parie que vous n’osiez ni le retenir en prison ni le délivrer, et que votre embarras fut la vraie cause de la longueur de sa prison. Mais venons au fait. Pour moi, j’ai répandu du sang ; il l’a fallu pour abaisser l’orgueil des grands, toujours prêts à se soulever. Il n’est pas étonnant qu’un homme qui a laissé tous les courtisans et tous les officiers d’armée reprendre leur ancienne hauteur, n’ait fait mourir personne dans un gouvernement si faible.

Mazarin. — Un gouvernement n’est point faible quand il mène les affaires au but par souplesse, sans cruauté. Il vaut mieux être renard que lion ou tigre.

Richelieu. — Ce n’est point cruauté que de punir des coupables dont le mauvais exemple en produirait d’autres. L’impunité attirant sans cesse des