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mourut. Si j’avais donné l’investiture au second, il se serait bientôt trouvé tout ensemble roi de France et duc de Milan ; par là toute l’Italie aurait été à jamais dans la servitude. C’est ce que j’ai prévu et c’est ce que j’ai dû éviter.

François. — Servitude pour servitude, ne valait-il pas mieux rendre le Milanais à son chef légitime, qui était moi, que de le retenir dans vos mains sans aucune apparence de droit ? Les Français, qui n’avaient plus un pouce de terre en Italie, étaient moins à craindre dans le Milanais pour la liberté publique, que la maison d’Autriche, revêtue du royaume de Naples et des droits de l’Empire sur tous les fiefs qui relèvent de lui en ce pays-là. Pour moi, je dirai franchement, toute subtilité à part, la différence de nos deux procédés. Vous aviez toujours assez d’adresse pour mettre les formes de votre côté et pour me tromper dans le fond ; j’avais tout au contraire assez d’honneur pour aller droit dans le fond, mais, par faiblesse, par impatience ou par légèreté, je ne prenais pas assez de précautions et les formes étaient contre moi : aussi je n’étais trompeur qu’en apparence et vous l’étiez dans l’essentiel. Pour moi, j’ai été assez puni de mes fautes dans le temps où je les ai faites. Pour vous, j’espère que la fausse politique de votre fils me vengera assez de votre injuste ambition. Il vous a contraint de vous dépouiller pendant votre vie : vous êtes mort dégradé et malheureux, vous qui aviez prétendu mettre toute l’Europe dans les fers. Ce fils achèvera son ouvrage : sa jalousie et sa défiance tyrannique abattront toute vertu et toute émulation chez les Espagnols ; le mérite devenu suspect et odieux n’osera paraître ;