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fâché d’avoir obligation au plus grand ennemi de la France ? Ce n’est point de ma captivité ni de ma blessure dont je suis en peine. Je meurs : dans un moment la mort va me délivrer de vos mains.

Bourbon. — Non, mon cher Bayard, j’espère que nos soins réussiront pour te guérir.

Bayard. — Ce n’est point là ce que je cherche, et je suis content de mourir.

Bourbon. — Qu’as-tu donc ? Est-ce que tu ne saurais te consoler d’avoir été vaincu et fait prisonnier dans la retraite de Bonnivet ? Ce n’est pas ta faute ; c’est la sienne : les armes sont journalières. Ta gloire est assez bien établie par tant de belles actions. Les Impériaux ne pourront jamais oublier cette vigoureuse défense de Mézières contre eux.

Bayard. — Pour moi, je ne puis jamais oublier que vous êtes ce grand connétable, ce prince du plus noble sang qu’il y ait dans le monde, et qui travaille à déchirer de ses propres mains sa patrie et le royaume de ses ancêtres.

Bourbon. — Quoi, Bayard ! je te loue, et tu me condamnes ! je te plains, et tu m’insultes !

Bayard. — Si vous me plaignez, je vous plains aussi ; et je vous trouve bien plus à plaindre que moi. Je sors de la vie sans tache ; j’ai sacrifié la mienne à mon devoir ; je meurs pour mon pays, pour mon roi, estimé des ennemis de la France et regretté de tous les bons Français. Mon état est digne d’envie.

Bourbon. — Et moi je suis victorieux d’un ennemi qui m’a outragé ; je me venge de lui ; je le chasse du Milanais ; je fais sentir à toute la France combien elle est malheureuse de m’avoir perdu