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connu de vous : on serait allé au bout du monde, plutôt que de vivre à votre service. Dès qu’on est fripon, on l’est pour tout le monde. Voudriez-vous qu’une âme que vous avez gangrenée, et à qui vous n’avez inspiré que scélératesse pour tout le genre humain, n’ait jamais que vertu pure et sans tache, que fidélité désintéressée et héroïque pour vous seul ? Étiez-vous assez dupe pour le penser ? Ne comptiez-vous pas que tous les hommes seraient pour vous comme vous pour eux ? Quand même on aurait été bon et sincère pour tous les hommes, on aurait été forcé de devenir faux et méchant à votre égard. En vous trahissant, je n’ai donc fait que suivre vos leçons, que marcher sur vos traces, que vous rendre ce que vous nous donniez tous les jours, que faire ce que vous attendiez de moi, que prendre pour principe de ma conduite le principe que vous regardiez comme le seul qui doit animer tous les hommes. Vous auriez méprisé un homme qui aurait connu d’autre intérêt que le sien propre. Je n’ai pas voulu mériter votre mépris ; et j’ai mieux aimé vous tromper, que d’être un sot selon vos principes.

Louis. — J’avoue que votre raisonnement me presse et m’incommode. Mais pourquoi vous entendre avec mon frère le duc de Guyenne et avec le duc de Bourgogne, mon plus cruel ennemi ?

Balue. — C’est parce qu’ils étaient vos plus dangereux ennemis que je me liai avec eux, pour avoir une ressource contre vous, si votre jalousie ombrageuse vous portait à me perdre. Je savais que vous compteriez sur mes trahisons et que vous pourriez les croire sans fondement ; j’aimais mieux vous trahir pour me sauver de vos mains que périr