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vous plaira, sur vos expériences passées ; cherchez des prétextes pour flatter vos passions : pour moi, qui suis ici depuis plus de temps que vous, j’y ai eu le loisir d’apprendre à me défier de moi et du monde. Il m’a trompé une fois, ce monde ingrat : il ne me trompera plus. J’ai tâché de lui faire du bien ; il ne m’a jamais rendu que du mal. J’ai voulu aider une reine bien intentionnée, on l’a décréditée, et réduite à se retirer. On m’a rendu ma liberté en croyant me mettre en prison : trop heureux de n’avoir plus d’autre affaire que celle de mourir en paix dans ce désert !

Ébroïn. — Mais vous n’y songez pas ; si nous voulons nous réunir, nous pouvons encore être les maîtres absolus.

Léger. — Les maîtres de quoi ? de la mer, des vents et des flots ? Non, je ne me rembarque plus après avoir fait naufrage. Allez chercher la fortune ; tourmentez-vous, soyez malheureux dès cette vie, hasardez tout, périssez à la fleur de votre âge, damnez-vous pour troubler le monde et pour faire parler de vous ; vous le méritez bien, puisque vous ne pouvez demeurer en repos.

Ébroïn. — Mais quoi ! est-il bien vrai que vous ne désirez plus la fortune ? l’ambition est-elle bien éteinte dans les derniers replis de votre cœur ?

Léger. — Me croiriez-vous si je vous le disais ?

Ébroïn. — En vérité, j’en doute fort. J’aurais bien de la peine ; car enfin…

Léger. — Je ne vous le dirai donc pas ; il est inutile de vous parler non plus qu’aux sourds. Ni les peines infinies de la prospérité, ni les adversités affreuses qui l’ont suivie, n’ont pu vous corriger.