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Ébroïn. — Ho ! je le vois bien ; c’est que vous m’abandonnez comme un homme indigne de vos instructions. Mais vous en répondrez, et vous ne me faites pas justice. J’avoue que j’ai été fâché de venir ici ; mais maintenant je suis assez content d’y être. Voici le plus beau désert qu’on puisse voir. N’admirez-vous pas ces ruisseaux qui tombent des montagnes, ces rochers escarpés et en partie couverts de mousse, ces vieux arbres qui paraissent aussi anciens que la terre où ils sont plantés ? La nature a ici je ne sais quoi de brut et d’affreux qui plaît, et qui fait rêver agréablement.

Léger. — Toutes ces choses sont bien fades à qui a le goût de l’ambition, et qui n’est point désabusé des choses vaines. Il faut avoir le cœur innocent et paisible pour être sensible à ces beautés champêtres.

Ébroïn. — Mais j’étais las du monde et de ses embarras, quand on m’a mis ici.

Léger. — Il paraît que vous en étiez fort las, puisque vous en êtes sorti par force.

Ébroïn. — Je n’aurais pas eu le courage d’en sortir ; mais j’en étais pourtant dégoûté.

Léger. — Dégoûté comme un homme qui y retournerait encore avec joie, et qui ne cherche qu’une porte pour y rentrer. Je connais votre cœur ; vous avez beau dissimuler : avouez votre inquiétude ; soyez au moins de bonne foi.

Ébroïn. — Mais, saint prélat, si nous rentrions vous et moi dans les affaires, nous y ferions des biens infinis. Nous nous soutiendrions l’un l’autre pour protéger la vertu ; nous abattrions de concert tout ce qui s’opposerait à nous.

Léger. — Confiez-vous à vous-même tant qu’il