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tous les exercices du corps, environné de sages conseillers qui avaient eu ma confiance et qui pouvaient modérer sa jeunesse. Il est vrai que son naturel était léger, violent, adonné au plaisir.

Antonin. — Ne connaissais-tu dans Rome aucun homme plus digne de l’empire du monde ?

Marc-Aurèle. — J’avoue qu’il y en avait plusieurs ; mais je croyais pouvoir préférer mon fils, pourvu qu’il eût de bonnes qualités.

Antonin. — Que signifiait donc ce langage de vertu si héroïque, quand tu écrivais à Faustine que si Avidius Cassius était plus digne de l’empire que toi et ta famille, il fallait consentir qu’il prévalût et que ta famille pérît avec toi ? Pourquoi ne suivre point ces grandes maximes, lorsqu’il s’agissait de te choisir un successeur ? Ne devais-tu pas à la patrie de préférer le plus digne ?

Marc-Aurèle. — J’avoue ma faute ; mais la femme que tu m’avais donnée avec l’empire, et dont j’ai souffert les désordres par reconnaissance pour toi, ne m’a jamais permis de suivre la pureté de ces maximes. En me donnant cette femme avec l’empire, tu fis deux fautes. En me donnant ta fille, tu fis la première faute, dont la mienne a été la suite. Tu me fis deux présents, dont l’un gâtait l’autre et m’a empêché d’en faire un bon usage. J’avais de la peine à m’excuser en te blâmant ; mais enfin tu me presses trop. N’as-tu pas fait pour ta fille ce que tu me reproches d’avoir fait pour mon fils ?

Antonin. — En te reprochant ta faute, je n’ai garde de désavouer la mienne. Mais je t’avais donné une femme qui n’avait aucune autorité : elle n’avait que le nom d’impératrice ; tu pouvais et tu devais