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L

ANTONIN PIE ET MARC-AURÈLE


Marc-Aurèle. — Ô mon père ! j’ai grand besoin de venir me consoler avec toi. Je n’eusse jamais cru pouvoir sentir une si vive douleur, ayant été nourri dans la vertu insensible des stoïciens, et étant descendu dans ces demeures bienheureuses, où tout est si tranquille.

Antonin. — Hélas ! mon cher fils, quel malheur te jette dans ce trouble ? Tes larmes sont bien indécentes pour un stoïcien. Qu’y a-t-il donc ?

Marc-Aurèle. — Ah ! c’est mon fils Commode que je viens de voir ; il a déshonoré notre nom, si aimé du peuple. C’est une femme débauchée qui l’a fait massacrer, pour prévenir ce malheureux, parce qu’il l’avait mise dans une liste de gens qu’il prétendait faire mourir.

Antonin. — J’ai su qu’il a mené une vie infâme. Mais pourquoi as-tu négligé son éducation ? Tu es cause de son malheur ; il a bien plus à se plaindre de ta négligence qui l’a perdu, que tu n’as à te plaindre de ses désordres.

Marc-Aurèle. — Je n’avais pas le loisir de penser à un enfant ; j’étais toujours accablé de la multitude des affaires d’un si grand empire et des guerres étrangères : je n’ai pourtant pas laissé d’en prendre quelque soin. Hélas ! si j’eusse été un simple particulier, j’aurais moi-même instruit et formé mon fils ; je l’aurais laissé honnête homme ; mais je lui ai laissé trop de puissance pour lui laisser de la modération et de la vertu.