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toi, en m’assurant que tu m’as surpassé en prodiges ; mais je n’en crois rien.

Néron. — Belle comparaison ! tu étais un fou. Pour moi, je me suis joué des hommes, et je leur ai fait voir des choses qu’ils n’avaient jamais vues. J’ai fait périr ma mère, ma femme, mon gouverneur, mon précepteur ; j’ai brûlé ma patrie. Voilà des coups d’un grand courage qui s’élève au-dessus de la faiblesse humaine. Le vulgaire appelle cela cruauté ; moi je l’appelle mépris de la nature entière et grandeur d’âme.

Caligula. — Tu fais le fanfaron. As-tu étouffé comme moi ton père mourant ? as-tu caressé comme moi ta femme, en lui disant : « Jolie petite tête, que je ferai couper quand il me plaira ! »

Néron. — Tout cela n’est que gentillesse : pour moi, je n’avance rien qui ne soit solide. Hé ! vraiment, j’avais oublié un des beaux endroits de ma vie ; c’est d’avoir fait mourir mon frère Britannicus.

Caligula. — C’est quelque chose, je l’avoue. Sans doute, tu l’as fait pour imiter la vertu du grand fondateur de Rome, qui, pour le bien public, n’épargna pas même le sang de son frère. Mais tu n’étais qu’un musicien.

Néron. — Pour toi, tu avais des prétentions plus hautes ; tu voulais être dieu et massacrer tous ceux qui en auraient douté.

Caligula. — Pourquoi non ? pouvait-on mieux employer la vie des hommes que de la sacrifier à ma divinité ? C’étaient autant de victimes immolées sur mes autels.

Néron. — Je ne donnais pas dans de telles visions ; mais j’étais le plus grand musicien et le