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peuples étrangers et ennemis de la Macédoine. Je n’ai point mis comme toi dans les fers ma propre patrie ; au contraire, j’ai donné aux Macédoniens une gloire immortelle avec l’empire de tout l’Orient.

César. — Tu as vaincu des hommes efféminés, et tu es devenu aussi efféminé qu’eux. Tu as pris les richesses des Perses, et les richesses des Perses t’ont vaincu en te corrompant. As-tu porté jusqu’aux enfers cet orgueil insensé qui te fit croire que tu étais un dieu ?

Alexandre. — J’avoue mes fautes et mes erreurs. Mais est-ce à toi à me reprocher ma mollesse ? ne sait-on pas ta vie infâme en Bithynie, ta corruption à Rome, où tu n’obtins les honneurs que par des intrigues honteuses ? Sans tes infamies, tu n’aurais jamais été qu’un particulier dans ta république. Il est vrai aussi que tu vivrais encore.

César. — Le poison fit contre toi à Babylone ce que le fer a fait contre moi dans Rome.

Alexandre. — Mes capitaines n’ont pu m’empoisonner sans crime ; tes concitoyens, en te poignardant, sont les libérateurs de leur patrie : ainsi nos morts sont bien différentes. Nos jeunesses le sont encore davantage : la mienne fut chaste, noble, ingénue ; la tienne fut sans pudeur et sans probité.

César. — Ton ombre n’a rien perdu de l’orgueil et de l’emportement qui ont paru dans ta vie.

Alexandre. — J’ai été emporté par mon orgueil, je l’avoue. Ta conduite a été plus mesurée que la mienne ; mais tu n’as point imité ma candeur et ma franchise. Il fallait être honnête homme avant que d’aspirer à la gloire de grand homme. J’ai