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deviez arriver. Mais vous y êtes venu le plus tard qu’il vous a été possible.

Cicéron. — J’y suis venu après une mort pleine de courage. J’ai été la victime de la république ; car depuis les temps de la conjuration de Catilina, où j’avais sauvé Rome, personne ne pouvait plus être ennemi de la république sans me déclarer aussitôt la guerre.

Caton. — J’ai pourtant su que vous aviez trouvé grâce auprès de César par vos soumissions, que vous lui prodiguiez les plus magnifiques louanges, que vous étiez l’ami intime de tous ses lâches favoris, et que vous leur persuadiez même, dans vos lettres, d’avoir recours à sa clémence pour vivre en paix au milieu de Rome dans la servitude. Voilà à quoi sert l’éloquence.

Cicéron. — Il est vrai que j’ai harangué César pour obtenir la grâce de Marcellus et de Ligarius…

Caton. — Hé ! ne vaut-il pas mieux se taire que d’employer son éloquence à flatter un tyran ? Ô Cicéron, j’ai su plus que vous ; j’ai su me taire et mourir.

Cicéron. — Vous n’avez pas vu une belle observation que j’ai faite dans mes Offices, qui est que chacun doit suivre son caractère. Il y a des hommes d’un naturel fier et intraitable, qui doivent soutenir cette vertu austère et farouche jusqu’à la mort : il ne leur est pas permis de supporter la vue du tyran ; ils n’ont d’autre ressource que celle de se tuer. Il y a une autre vertu, plus douce et plus sociable ; de certaines personnes modérées, qui aiment mieux la république que leur propre gloire : ceux-là doivent vivre, et ménager le tyran pour le bien public ;