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pour te convaincre ! Mais Rome courait à sa perte, et elle ne voulait pas connaître ses ennemis.

César. — Ton éloquence me fit peur, je l’avoue, et j’eus recours à l’autorité. Mais tu ne peux désavouer que je me tirai d’affaire en habile homme.

Caton. — Dis en habile scélérat : tu éblouissais les plus sages par tes discours modérés et insinuants ; tu favorisais les conjurés sous prétexte de ne pousser pas la rigueur trop loin. Moi seul je résistai en vain. Dès lors les dieux étaient irrités contre Rome.

César. — Dis-moi la vérité : tu craignis, après la bataille de Thapse, de tomber entre mes mains ; tu aurais été fort embarrassé de paraître devant moi. Hé ! ne savais-tu pas que je ne voulais que vaincre et pardonner ?

Caton. — C’est le pardon du tyran, c’est la vie même, oui, la vie de Caton due à César, que je craignais. Il valait mieux mourir que te voir.

César. — Je t’aurais traité généreusement, comme je traitai ton fils. Ne valait-il pas mieux secourir encore la république ?

Caton. — Il n’y a plus de république dès qu’il n’y a plus de liberté.

César. — Mais quoi ! être furieux contre soi-même ?

Caton. — Mes propres mains m’ont mis en liberté malgré le tyran, et j’ai méprisé la vie qu’il m’eût offerte. Pour toi, il a fallu que tes propres amis t’aient déchiré comme un monstre.

César. — Mais si la vie était si honteuse pour un Romain après ma victoire, pourquoi m’envoyer ton fils ? voulais-tu le faire dégénérer ?

Caton. — Chacun prend son parti selon son cœur